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La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution

Titel: La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Verne
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trop de deux pour la manœuvrer. Mais une fois la voilure installée la barque fila grand largue.
    Le vent de surouë aidant, elle volait sur les flots avec rapidité. Bien que la brise fût très forte, le Breton n’avait pas voulu prendre un seul ris dans ses voiles, qui s’inclinaient parfois jusqu’à mouiller leurs ralingues ; mais, soit d’un coup de barre audacieux, soit en filant un peu de son écoute, Kernan relevait la barque et la rejetait dans le vent.
    À cinq heures du matin, elle passait entre Belle-Île et cette presqu’île de Quiberon qui, quelques mois plus tard, allait être inondée du sang français, à la honte de l’Angleterre.
    Quelques provisions de poisson fumé formaient l’approvisionnement de la chaloupe ; les deux fugitifs purent donc prendre un peu de nourriture ; ils n’avaient pas mangé depuis plus de quinze heures.
    Pendant les premiers moments de cette traversée, le comte de Chanteleine demeura taciturne ; il était en proie à une violente émotion. Son esprit mêlait confusément les scènes du passé à celles qu’il prévoyait dans l’avenir. Au moment où il courait au secours de sa femme et de sa fille, celles-ci lui apparaissaient de plus en plus menacées. Il discutait les chances d’un malheur possible, et il cherchait à se rappeler les dernières nouvelles qu’il avait reçues du château.
    – Ce Karval, dit-il enfin à Kernan, est bien connu dans le pays, et, certes, s’il y reparaissait, les habitants du château le recevraient fort mal.
    – Certes ! répondit le Breton, et on ne manquerait pas de lui faire un mauvais parti. Mais si le gueux y vient, il n’y viendra pas seul, et, d’ailleurs, rien que sur une dénonciation de sa part on peut arrêter M me  la comtesse et ma nièce Marie. Deux pauvres femmes inoffensives ! Quel temps que celui où nous vivons !
    – Oui, terrible ! Kernan, un temps où la colère de Dieu ne nous épargne guère, mais il faut se soumettre à sa volonté. Heureux ceux qui, sans famille, n’ont à craindre que pour eux seuls ! Nous autres, Kernan, nous luttons, nous nous défendons, nous nous battons pour la sainte cause ! Mais nos mères, nos sœurs, nos filles, nos femmes ne peuvent que pleurer et prier.
    – Heureusement, nous sommes là, répondit Kernan, et, avant d’arriver jusqu’à elles, il faudra nous passer sur le corps. Quoi qu’il en soit, notre maître, vous avez bien fait de laisser Madame et Mademoiselle à Chanteleine ; les courageuses femmes voulaient vous suivre, et faire la campagne tout comme M me  de Lescure, M me  de Donnissant et tant d’autres ! mais au prix de quelles souffrances et de quelles misères !
    – Et cependant, répliqua le comte, je regrette de ne pas les avoir à mes côtés ! Je les saurais en sûreté, et, depuis les menaces de ce Karval, j’ai peur.
    – Oh ! demain matin, si le vent nous protège, nous relèverons la côte du Finistère, et, quoi qu’il arrive, nous ne serons pas éloignés du château.
    – Elles seront bien surprises de nous revoir, ces pauvres femmes, dit le comte avec un triste sourire.
    – Et heureuses, donc, reprit Kernan. Comme ma nièce Marie va sauter au cou de son père et dans les bras de son oncle ! Mais il ne faudra pas perdre de temps pour les mettre en lieu sûr.
    – Oui, tu as raison, les Bleus ne peuvent tarder à visiter le château ; la Municipalité de Quimper aura bientôt l’éveil !
    – Alors, notre maître, vous savez bien ce que nous aurons à faire en arrivant au château ?
    – Oui, dit le comte en poussant un soupir.
    – Il n y a pas deux partis à prendre repartit le Breton, il n’y en a qu’un.
    – Et lequel ? demanda le comte.
    – Réunir tout votre argent, notre maître, le mien, nous procurer un navire à tout prix et fuir en Angleterre.
    – Émigrer ! dit le comte avec un accent de douleur.
    – Il le faut ! répondit Kernan, il n’y a plus de sûreté dans le pays pour vous ni pour les vôtres.
    – Tu as raison ! Kernan ; le Comité de salut public va exercer de terribles représailles en Bretagne et en Vendée ! Après avoir vaincu, il va massacrer.
    – Comme vous dites ; il a déjà envoyé ses agents les plus cruels à Nantes. Il en expédiera d’autres à Quimper, à Brest, et les rivières du Finistère regorgeront bientôt de cadavres comme la Loire.
    – Oui ! répondit le comte : ma femme ! ma fille ! il faut les sauver avant toute chose !

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