La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
tarda pas à voir qu’il était suivi, et il pressa le pas. Kernan, craignant à chaque instant qu’une porte ne s’ouvrît devant lui, résolut de l’aborder. Il hâta donc sa marche, et le rejoignit près du chemin de ronde, le long des fortifications de la ville.
Karval recula vivement, et, d’une voix peu rassurée, il dit au Breton :
– Que me veux-tu, citoyen ?
– J’ai une dénonciation à te faire, répondit Kernan.
– Ce n’est ni le lieu ni l’heure, répliqua Karval, dont le Breton. avait saisi le bras.
– Si, pour un patriote comme toi… Mon affaire intéresse la République.
– Enfin, que veux-tu ?
– Tu cherches la citoyenne de Chanteleine.
– Ah ! fit Karval en reprenant confiance dans sa haine, tu sais où elle est ?
– Elle est en mon pouvoir, répondit Kernan, et je puis te la livrer.
– Tout de suite ?
– À l’instant même.
– Et que demandes-tu pour cela ? dit le misérable.
– Rien. Viens donc.
– Attends ; le poste des remparts n’est pas loin. Je vais prendre quelques hommes, et, pas plus tard que demain, la citoyenne fera la bascule sous les yeux de son père.
Le poignet de fer du Breton serra si violemment le bras de Karval, que celui-ci ne put retenir un cri. En ce moment, la lueur d’un réverbère tomba sur la figure de Kernan, et Karval le regarda. Soudain, ses traits se décomposèrent, et d’une voix articulée il s’écria :
– Kernan ! Kernan !
Il voulut appeler au secours, mais la voix lui manqua ; il tremblait ; ce bandit était le plus lâche des hommes. D’ailleurs, il pouvait être effrayé avec raison ; la figure de Kernan étincelait, et sa main était armée d’un large coutelas, dont la pointe s’appuyait sur la poitrine du républicain.
– Un mot, et tu tombes mort, dit le Breton d’une voix grave ; tu vas me suivre.
– Mais que veux-tu ? balbutia le misérable.
– Te faire voir M lle de Chanteleine ; mets ton bras sous le mien ! Allons, pas de façons ! tu n’es pas de force ; nous allons passer devant des maisons habitées, devant des postes même ; tu sentiras toujours cette lame appuyée sur ton cœur ; au moindre cri, je l’enfonce. Mais je sais que tu es un lâche, tu ne crieras pas.
Karval ne put répondre ; saisi dans un étau de fer, il suivit le Breton ; et ces deux hommes, bras dessus, bras dessous, avaient l’air de deux amis. Kernan se dirigea vers la porte de Recouvrance ; plusieurs fois, des passants attardés croisèrent Kernan et Karval ; celui-ci n’osa pas ouvrir la bouche ; il sentait la pointe du poignard qui déchirait ses vêtements.
Les rues devenaient de plus en plus désertes ; il y avait de gros nuages noirs qui rendaient la nuit très obscure. Parfois, Kernan serrait si fort son compagnon que des cris sourds s’échappaient de la bouche du misérable.
– Tu me fais mal, disait-il.
– Ce n’est rien, répondait le Breton.
Enfin, ils arrivèrent à la poterne. Là, était une porte assez vivement éclairée ; Karval vit les soldats allant et venant dans le corps de garde ; il n’avait qu’un cri à jeter pour se faire entendre ; il se tut pourtant !
À dix pas, la sentinelle se promenait de long en large. Karval frôla le soldat en passant ; il n’avait qu’un signe à faire ; il ne le fit pas. Le poignard de Kernan entrait dans sa poitrine, et quelques gouttes de sang filtraient à travers ses habits.
Bientôt, la double enceinte fortifiée fut dépassée ; les deux hommes remontèrent la grande route pendant un quart de lieue dans le plus grand silence, Karval toujours rivé à Kernan ; puis le Breton se jeta dans un chemin couvert sur la gauche, et ne tarda pas à arriver à l’un de ces champs incultes et entourés de pierres qui forment le sommet des hauts rochers de la côte.
On entendait la mer se briser au pied des rocs à une centaine de pieds de profondeur.
Là, Kernan s’arrêta :
– Maintenant, dit-il d’une voix grave, mais qui indiquait une résolution irrévocablement arrêtée, et dans laquelle était empreint tout l’entêtement breton, maintenant, tu vas mourir.
– Moi ! s’écria le misérable.
Peut-être voulut-il appeler, alors, mais sa voix lui resta dans la gorge.
– Tu peux crier, dit le Breton ; tu peux demander grâce ; personne ne t’entendra, pas même moi. Rien ne te sauvera. À ta place, foi de Breton, je mourrais bravement, et non comme un lâche.
Karval essaya de
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