La Comte de Chanteleine - Épisode de la révolution
ensemble et se relevaient quand la brise était passée. Déjà le bourg de Douarnenez se perdait dans l’éloignement.
Bientôt, la grotte fut visible. Il n’y avait pas de clocher pour la distinguer, ni de cloche sonnant joyeusement dans l’air une messe de mariage ; mais la piété de toute une population allait la transformer en église naturelle.
Quand on arriva devant la grotte, la marée n’était pas encore assez haute pour y pénétrer ; les barques se rangèrent dans un bon ordre et attendirent.
Enfin, le flot s’élança par-dessus la grève, d’abord en écumant sur le sable, puis plus tranquille à mesure qu’il montait. Les chaloupes entrèrent et se disposèrent circulairement le long des murailles de granit. Celles-ci, revêtues de roches rouges, prenaient des reflets de cornaline qui charmaient le regard.
Au centre de la grotte se trouve un rocher isolé, un îlot de quelques pieds carrés, sur lequel un autel avait été élevé ; quelques cierges brûlaient dans des chandeliers de bois, et les dernières ondulations de la mer venaient mourir au pied de cet autel, tandis que les barques se balançaient au mouvement de la houle.
Marie, cependant, promenait autour d’elle un regard inquiet.
– Et mon père ? dit-elle au Breton.
– Il ne peut tarder à venir, répondit Kernan.
– Marie ! je vous aime, murmurait le jeune homme à l’oreille de la jeune fille.
Bientôt, au fond de la grotte, une clochette retentit, et l’on vit une barque s’avancer lentement : un enfant agitait la clochette, un pêcheur ramait à l’avant ; à l’arrière, le prêtre portait le calice. Il arriva au rocher, débarqua, posa le vase sacré sur l’autel et se retourna vers les assistants.
– Mon père ! s’écria Marie.
– Lui ! lui ! fit Kernan.
Ce prêtre, c’était le comte de Chanteleine, et pendant que les siens, stupéfaits, ne pouvant en croire leurs yeux, demeuraient dans le plus profond silence, le comte prit la parole et dit :
– Mes frères, mes amis, celui qui vous parle est un père ; veuf, il s’est fait prêtre pour vous apporter les secours de la religion ! Un saint évêque, caché près de Redon, lui a donné le droit d’exercer le divin sacerdoce, il vient marier sa fille avec celui qui l’a sauvée de l’échafaud, et il vous demande de prier pour elle.
Ces paroles furent suivies d’un frémissement. Tous les pêcheurs reconnaissaient celui qui leur parlait ainsi et comprirent son dévouement sublime. Marie pleurait, et Kernan ne pouvait prononcer une parole.
L’absence du comte s’expliquait alors : les études théologiques qu’il avait faites pendant sa jeunesse lui avaient permis de franchir rapidement les premiers degrés de l’état sacerdotal, et en quelques jours il avait été ordonné prêtre.
Alors, revenu près des siens, il employa ses nuits à exercer son saint ministère ; il s’échappait de sa maisonnette par l’escalier extérieur sans que personne se doutât de son absence, et s’il n’avoua pas plus tôt à ses amis, à son enfant, le secret de sa nouvelle existence, c’est qu’il ne voulut pas les effrayer par la crainte des dangers auxquels il s’exposait.
De la main, le comte fit approcher la barque des fiancés jusqu’au pied du rocher, et la messe commença.
Il y avait quelque chose de touchant à voir ce veuf devenu prêtre, ce père qui mariait sa fille ; l’étrangeté de cette situation dominait tous les esprits.
Bientôt, le murmure de la prière se mêla au murmure des flots. On sentait, à l’entendre, combien la voix du comte était émue.
Enfin, le moment de l’élévation arriva ; le son de la clochette retentit ; les fidèles s’inclinèrent dans un profond recueillement, et le prêtre élevait au ciel l’hostie consacrée, quand tout à coup des cris retentirent au-dehors.
– Feu ! s’écria une voix.
Et une décharge épouvantable éclata soudain.
– Les Bleus ! les Bleus ! s’écria-t-on de toutes parts.
Et chaque barque se prit à fuir au-dehors, sous le feu d’un brick de guerre, Le Sans-culotte , qui s’était embossé devant la plage. Il avait mis ses chaloupes à la mer, et, chargées de soldats, elles se dirigèrent vers la grotte.
Le désordre était au comble ; des blessés expiraient, les uns essayaient de se cramponner aux rocs et de gagner la plaine, d’autres se noyaient au milieu de la fumée ; on ne se voyait pas. Les républicains pénétrèrent
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