La Cour des miracles
découvrirent pas !
Et comme le roi, furieux, allait donner un ordre à l’officier des hallebardiers, l’un des deux inconnus répondit d’une voix calme au fond de laquelle perçait une sourde irritation :
– Monsieur, nous vous avons rencontré par les chemins ; vous aviez peur, nous vous avons escorté ; vous voici chez vous… Adieu donc, et ne soyez pas en peine des remerciements que vous nous devez ; nous vous en tenons quitte.
Et les deux inconnus firent volte face, piquèrent, et disparurent dans la nuit.
Ces deux cavaliers que le roi ne reconnut pas, nos lecteurs les ont certainement reconnus : c’étaient Manfred et Lanthenay.
Ils arrivaient de Paris où, avant leur départ, s’était passée une scène que nous devons raconter.
Nous reprenons donc les événements au moment où Julie, la malheureuse femme de Dolet, morte de douleur, vient d’être enterrée.
Avette, forte et courageuse, a suivi le cercueil jusqu’au cimetière des Innocents.
Puis, malgré les instances de Lanthenay, la jeune fille a voulu rentrer dans cette maison de la rue Saint-Denis où chaque meuble lui parle de son père et de sa mère.
C’est là que nous retrouvons ces trois personnages.
Ce que craignait Lanthenay est arrivé.
A la vue des objets familiers qu’ont si souvent touchés les mains de ceux qui ne sont plus, Avette a été prise d’une crise de désespoir.
Mais enfin, les larmes qui ont pu couler l’ont calmée.
Maintenant, réfugiée dans la chambre de son père et de sa mère, elle pleure doucement.
Dans la pièce du rez-de-chaussée, dans cette pièce où, au début de ce récit, Etienne Dolet a reçu le roi François I er , Manfred et Lanthenay devisent gravement.
– Que comptes-tu faire ? a demandé Manfred.
Lanthenay a esquissé un geste grave.
– Que faire ? murmura-t-il. Il faut que je sauve cette enfant de sa douleur… Il faut que j’essaye d’arracher le vieillard à la folie. Me voilà entre ma fiancée et mon père, désorganisé, découragé ; je vois l’avenir en noir…
– C’est que tu souffres. Il est nécessaire que tu t’arraches toi-même à tes désolantes pensées.
Et comme Lanthenay essayait d’un geste négatif, Manfred continua doucement :
– Frère, tu m’as assez souvent fait la morale pour qu’à mon tour je puisse t’en faire un peu. Il me semble que tu es injuste envers la destinée ; un double malheur t’a frappé : la mort de Dolet que tu considérais comme ton vrai père ; la folie du comte de Monclar… mais Avette te reste ! Et tu es sûr de son amour ; elle est là ; tandis que moi… mais justement, je pars pour Fontainebleau ; je suis sans nouvelles de là-bas ; c’est qu’on n’a pas dû réussir… Toi, frère, ta fiancée est à tes côtés ; moi, il faut que je conquière la mienne… J’ai besoin de toi, Lanthenay, il faut que tu viennes avec moi…
Manfred, en parlant ainsi, songeait surtout à emmener son ami loin de Paris.
– Si tu as besoin de moi, je suis prêt, dit Lanthenay, mais que ferais-je d’Avette ? Que ferais-je de mon père ? Que deviendront-ils pendant mon absence ? Je te soumets ces questions, frère.
– Je sais un endroit où ils seront en parfaite sûreté tous deux…
– Que veux-tu dire ?
– Tu le sauras. Mais réponds seulement : si je te prouve que le comte de Monclar et Avette n’auront rien à redouter pendant ton absence, consentiras-tu à me suivre ?
– Peux-tu en douter ! s’exclama Lanthenay.
– C’est tout ce qu’il me faut, dit Manfred. Attends-moi ici…
Aussitôt Manfred sortit et prit le chemin de Notre-Dame. Il ne tarda pas à arriver dans une petite rue – la rue des Canettes – où se trouvait l’hôtel qu’avait loué le chevalier de Ragastens.
On n’a pas oublié qu’au moment de son départ pour Fontainebleau, le chevalier avait conduit sa femme, la princesse Béatrix, dans cet hôtel, où il lui semblait qu’il n’y avait plus rien à craindre pour elle.
Manfred n’ignorait pas ce détail.
Or, depuis qu’il avait lu la lettre révélatrice de la Gypsie, le cœur de Manfred s’était, à chacune de ses pensées, élancé vers cet hôtel où se trouvait sa mère.
Mais la délivrance de Lanthenay avait pris toute son énergie, tous ses instants. Depuis trois jours, il s’était donné tout entier à son ami.
Maintenant que Lanthenay était sauvé, maintenant que la douloureuse scène de l’enterrement de Julie était
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