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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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l'autel.
    Sur le coup, elle se crut plongée dans un cauchemar. Pétrifiée, elle fixa l'effarante scène, incapable de lui donner un sens. Rolande Bonnel était allongée sur le sol, les deux bras écartés du corps, baignant dans une mare de sang rouge vif. Décapitée. La tête de la sœur dépositaire avait été posée à côté de son épaule droite. Alexia détailla le crâne rasé, les sourcils bruns en broussaille. Victime d'une sorte de transe qui l'empêchait de comprendre ce qu'elle voyait, elle remarqua la large plaie sanglante qui s'ouvrait à l'arrière de la tête décollée. Rolande avait été frappée, tout comme Blanche, derrière le crâne. Toutefois, une seule idée obsédait Alexia. Elle chercha frénétiquement du regard. Où donc était passé le voile de son ancienne sœur ? Soudain, sans même l'avoir voulu, elle se rua vers la porte de la chapelle, lâchant son esconce dans sa fuite, et parvint à ne dégorger qu'une fois dehors. Secouée de spasmes et de hoquets, les larmes trempant ses joues, elle retint le hurlement qui obstruait sa gorge. Elle se contraignit à inspirer bouche ouverte l'air glacial de la nuit. Une violente quinte de toux lui coupa le souffle et elle se laissa tomber à genoux dans la neige, insensible à la morsure du froid qui remontait le long de ses jambes. Elle gémit une prière, ressassant sans trêve la même supplique :
    – Mon Dieu, je vous en supplie, accueillez-la. Que notre brave Rolande repose en très grande paix… Mon Dieu, de grâce, accueillez-la. Qu'elle repose en très grande paix… Mon Dieu, accueillez-la. Qu'elle repose en très grande paix…
    Enfin, elle put crier, meurtrissant la neige de coups de poing féroces :
    – C'est injuste ! Si monstrueux !
    Combien de temps resta-t-elle là, agenouillée ? Elle n'aurait su le dire. Quelques secondes, une heure ? Une éternité, de cela elle était certaine.
    Alexia de Nilanay se redressa. Une insoutenable fatigue lui coupait les membres. Elle avança péniblement, levant haut les pieds afin de les dégager de la neige. Une dense obscurité l'environnait, à peine trouée par la lueur blafarde d'une lune complice de sinistres nuages. Elle longea le bâtiment des étuves, frôlant le mur de pierre comme s'il demeurait son seul ancrage dans ce monde de ténèbres et de mort. Sans même s'en rendre compte, elle marmonnait inlassablement :
    – Je Vous en prie, faites qu'elles soient déjà dans le chauffoir, faites qu'elles m'y attendent. Je ne veux pas… Je ne peux pas y penser en solitude… Que se passe-t-il à la fin ? Le diable ? Pire ?
    Le chauffoir était désert. Grelottante, Alexia alluma toutes les torches afin de repousser l'hostilité des ombres et se rapprocha autant qu'elle le put de l'âtre dans lequel flambait un feu qui ne mourrait qu'aux jours de douceur. Un serviteur laïc était chargé de l'alimenter après complies. Ne pas penser. Interdire à la vision de s'imposer à elle. Cesser de revoir le cadavre mutilé de Rolande. Inventer un joli conte.
    Une jeune fille un peu écervelée avait un jour fui le pesant ennui de la ferme familiale qui se cramponnait à l'arrogance disparue de ses deux tours carrées. Un homme, puis d'autres l'avaient charmée. Et puis, un jour, un gentil chevalier espagnol l'avait enlevée et menée vers un pays de lumière et de chaleur. L'odeur des amandiers. La tiédeur insolente du soir. Alfonso de Arévolo s'effondrant, une dague au manche orfévré plantée dans la gorge.
    Cessez. Cessez aussitôt. Un joli conte. Joli !
    Une jeune femme, qui n'était plus si écervelée, avait rencontré un jour un prince aux yeux gris qui se mouvait avec la grâce d'un acrobate. Puisqu'il faut des miracles, le prince s'était épris de la jeune femme. Quant à elle, elle aurait donné sa vie afin de lui plaire toujours, tant elle l'aimait. Or, cette tête de bécasse avait exigé de revenir aux Clairets afin d'y réfléchir et surtout d'être certaine qu'elle méritait la passion de son beau prince…
    Une main frôla le mantel qu'Alexia serrait contre elle. Elle tourna la tête, affolée.
    – Je ne l'ai pas trouvée, annonça Mary de Baskerville.
    Il sembla à Alexia que son ton avait perdu de sa dureté.
    – Moi si, murmura-t-elle.
    – Elle est décédée.
    Il ne s'agissait pas d'une question.
    – C'est… au-delà de Blanche de Cerfaux. Faudra-t-il que je vous conduise ou suffira-t-il que je vous désigne le lieu… l'abattoir, devrais-je

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