La dame de Montsalvy
n'est-ce pas ? Cela est si vrai que vous êtes ici, à parader sous vos habits d'homme, mais seule, au lieu de battre la campagne et de rameuter vos troupes !
— On ne se bat pas durant la mauvaise saison !
— Mais on peut recruter pour la bonne. Jehanne, la vraie, s'y emploierait... D'ailleurs, me direz-vous ce qu'est devenu messire Arnaud ? Pourquoi donc n'est-il pas ici, avec vous ?
— Mais... justement parce qu'il s'occupe, à ma place, de rassembler les troupes et que...
Cette fois ce fut la duchesse qui l'interrompit d'un cri stupéfait où l'incrédulité se mêlait au scandale.
— Jehanne ! Mais ce que vous dites n'est pas la vérité et vous le savez. Je croyais que jamais vous n'aviez menti, que vous ne saviez même pas ce que pouvait être un mensonge.
— La Pucelle ne savait pas ! coupa Catherine. Mais cette femme n'est que mensonge. Je crois avoir, madame, le moyen de le prouver.
Où donc, ajouta-t-elle en se tournant de nouveau vers son adversaire, où donc m'avez-vous vue pour la première fois ?
Elle jouait un jeu dangereux et le savait. Si Arnaud avait remonté, avec cette femme, toute la longueur de leurs souvenirs communs avec Jehanne, elle serait dans un instant confondue, privée d'arguments...
ou presque, car il en était encore un qu'elle gardait en réserve. Mais quelque chose lui disait que Montsalvy n'avait pas été jusqu'à rappeler que lors de son entrée dans Orléans, Jehanne d'Arc avait sauvé Catherine de la potence... de la potence à laquelle il l'avait envoyée délibérément et dans l'espoir d'en finir une bonne fois avec un amour obsédant. Ce sont de ces choses que l'on ne confie pas volontiers !...
Jehanne la fausse eut un geste d'impatience.
— Quelle sottise ! Ne l'ai-je pas déjà dit ? Nous nous sommes vues à Reims, au moment du sacre.
— Je n'y étais pas.
— Il est difficile, vous savez, quand on a vécu ce que j'ai vécu de se souvenir de tous les visages rencontrés, fit l'autre de mauvaise humeur. Je pense alors que c'était à Orléans... oui, c'est cela, à Orléans.
— Et dans quelles circonstances, je vous prie ?
Son cœur battait la chamade mais se calma bientôt
en constatant que l'aventurière cherchait avec une ardeur qui creusait son front d'un pli profond. Elle ferma les yeux, s'efforçant de prendre un air inspiré.
— Attendez ! Je me souviens ! C'était à Orléans... oui, à Orléans !
Je revois tout à présent. La foule, les cris...
Le cœur de Catherine, cette fois, manqua un battement. Ce n'était pas possible ! On n'allait pas lui décrire la scène que sa mémoire lui représentait si intensément à cette minute précise ?... Mais un soupir profond dégonfla soudain sa poitrine car la dame des Armoises ajoutait :
— Nous venions de reprendre la bastide des Tourelles. Vous vous êtes approchée de moi, vous...
— Non !
Le mot claqua brutalement, jeté avec une sorte de joie triomphante, et déjà Catherine ajoutait :
— N'essayez pas de fabuler : ce que Jehanne a fait pour moi, personne ne pourrait l'inventer, surtout pas vous !
Un élan soudain la jeta aux pieds d'Elisabeth de Gorlitz.
— Je fais juge Votre Altesse ! Au moment de son entrée dans Orléans, Jehanne d'Arc a arraché à la potence une femme que l'on menait au supplice. Cette femme, c'était moi !
La duchesse eut un haut-le-corps.
— Vous ?
— Moi-même ! Je m'appelais alors Catherine de Brazey mais j'étais venue dans Orléans pour y rejoindre l'homme que j'aimais, Arnaud de Montsalvy, celui qui est devenu mon époux. J'avais été arrêtée et condamnée parce que l'on me croyait une espionne à la solde du duc Philippe de Bourgogne...
— ... dont vous étiez alors la maîtresse ! compléta Élisabeth. A présent, je sais vraiment qui vous êtes. Relevez-vous, madame. Je crois... que je commence à ajouter foi à vos paroles...
— Il faut me croire, madame la duchesse, il le faut ! Devant Dieu qui nous voit et sur le salut de mon âme, je jure que cette femme n'est pas Jehanne d'Arc.
Des larmes soudaines, inattendues, emplirent les yeux d'Élisabeth.
Elle revint vers l'autel mais sa démarche avait changé. Elle était lente, pénible comme si la traîne de sa robe, devenue d'un poids insupportable, lui causait une gêne extrême. Catherine l'entendit murmurer :
— Quel dommage ! Allons, les miracles ne sont plus de saison.
J'avais tant espéré ! La malédiction demeurera sur notre maison d'où est issu l'homme qui vendit la
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