La Dernière Année De Marie Dorval
pierre avec le nom de MARIE
DORVAL.
Mais, en rentrant dans la pauvre maison avec
cette somme, il se trouva en face de M. Merle, qui pensa que
le repos des vivants devait passer avant la glorification des
morts.
Les saisies s’étaient abattues de toutes parts
sur le mobilier.
En vieillissant, comme vous l’avez si bien
dit, ma grande amie, Merle était devenu un peu égoïste.
En somme, il était le chef de la maison ;
lui, jadis si philosophe, il pleurait maintenant à la vue d’un
papier timbré.
Il fallut lâcher les six mille cinq cents
francs. Chaque huissier mordit sa bouchée.
La dernière pièce d’or était disparue au bout
de huit jours.
Trois mois après on vendait le mobilier comme
si on n’eût pas donné d’à-compte, et Luguet restait devant cette
pensée terrible que lorsqu’il irait dire à ses amis, à la
ville
de Paris
ou au gouvernement :
Aidez-moi à empêcher que le corps de madame
Dorval soit jeté à la voirie.
On lui répondrait :
– Mais qu’avez-vous donc fait de la
représentation de mademoiselle Rachel ?
Et alors dans combien de détails faudrait-il
entrer pour faire ouvrir ces mains qui ne demandent pas mieux que
de rester fermées !
Chapitre 11
En attendant, mademoiselle Rachel avait rendu
un grand service. Que pourrait-on donner comme souvenir à
mademoiselle Rachel ?
Cela tourmenta huit jours la pauvre
famille.
Il restait une relique précieuse de la pauvre
morte. C’était sa Bible, cette Bible qui ne la quittait jamais,
dont le petit Georges regardait les images, et dans laquelle elle
cherchait des consolations au milieu de toutes les grandes douleurs
de sa vie.
Aussi cette Bible n’était-elle pas une bible
ordinaire, non pour le luxe de la typographie, non pour l’éclat de
l’enluminure, non pour la richesse de sa robe.
Elle était reliée tout simplement en chagrin
avec des angles et un fermoir d’argent.
Mais sur chaque feuille blanche, derrière
chaque image de saint, il y avait quelque pensée douloureuse ou
consolatrice, écrite de la main de la pauvre morte.
Donnons-en une idée !
BIBLE DE DORVAL
1 re PAGE, RECTO :
Songez à Dieu et regardez dans le ciel, j’ai
là un ange que j’y revois, vous y reverrez le vôtre.
VICTOR HUGO, 22 mai 1848.
Rien ne vous consolera plus jamais !
DESBORDES VALMORE, 22 mai 1848.
Il y avait déjà de l’ange dans ce petit être
chéri.
EUGÈNE LUGUET, 22 mai 1848.
2 e PAGE, VERSO :
Salvete flores Martyrûm.
Nous vous saluons, fleurs et prémices des
martyrs, qui à peine avez-vous vu le jour, que vous avez été
enlevées de ce monde par la rage d’un persécuteur de Jésus-Christ,
comme les roses encore tendres et naissantes sont enlevées par un
tourbillon de vent.
Vous avez été les premières victimes de
Jésus-Christ, et vous avez été comme de jeunes agneaux immolés à ce
divin agneau, et maintenant vous vous jouez innocemment avec les
palmes et les couronnes qu’il vous a fait remporter par votre
mort.
*
*
*
C’est pour l’amour de vous, Seigneur, que l’on
nous met à mort.
*
*
*
On entendit dans Rama les cris lamentables de
Rachel pleurant ses enfants et ne pouvant se consoler de les avoir
perdus !
*
*
*
Ils n’ont point souillé leurs vêtements, leur
âme était agréable à Dieu, c’est pourquoi il s’est hâté de les
tirer du milieu de l’iniquité, parce qu’il les a trouvés dignes de
lui.
*
*
*
3 e PAGE, VERSO :
Pour notre Georges.
Orléans
, 16 janvier 1849, entendu la
messe à la cathédrale.
Valenciennes
, 16 février 1849,
entendu la messe à Saint-Géry.
Saint-Omer
, 16 mars 1849, entendu la
messe à Saint-Denis.
4 e PAGE, VERSO :
Encore un peu de temps et vous ne me verrez
plus, encore un peu de temps et vous me reverrez, parce que je m’en
vais à vous, mon père.
Évangile
, saint Jean, chap. XVI, V. 16.
Ce qui me console, c’est qu’il viendra un
temps où ce temps sera bien loin.
Février 1849. – Valenciennes.
AVANT-DERNIÈRE PAGE, VERSO :
Le convoi descendit au lever de
l’aurore ;
Avec toute sa pompe, avril venait
d’éclore ;
Il couvrait en passant d’une neige de
fleurs
Ce cercueil virginal, et le baignait de
pleurs !
L’aubépine avait pris sa robe rose et
blanche ;
Un bourgeon étoilé tremblait à chaque
branche ;
Ce n’étaient que parfums et concerts
infinis :
Tous les oiseaux chantaient sur les bords de
leurs nids.
BRIZEUX.
*
*
*
Toutes fragiles fleurs sitôt mortes
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