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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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(les
Longs Aunes), mais impossible de rester longtemps avec elle. Je lui ai demandé
une feuille de papier et je suis descendu au bord de la rivière, où je me
trouve encore. J’ai besoin de solitude en ce moment. Non, plutôt besoin d’être
totalement avec toi. Je ne peux pas trouver de mots pour décrire la beauté du
paysage. Actuellement, je suis assis sous des cerisiers en fleurs qui bordent
un ruisseau babillard, et je me sens parfaitement heureux. Alors, pourquoi
faut-il à tout prix que je t’écrive ? Pourquoi cette extraordinaire
attirance vers toi ? Tu le sais, n’est-ce pas, j’ai besoin de partager
tous mes bonheurs, toutes mes peines avec toi. Après tout, qui remercier de mon
immense bonheur en ce jour ? Toi, toi seule, ma mère. C’est toi qui m’as
donné des yeux pour voir toute la beauté du monde, des oreilles pour entendre l’Hymne
au Printemps des oiseaux, un cœur pour tourner mon esprit vers des pensées de
gratitude à ton égard, et un amour de la nature que je peux ressentir ici en
toute plénitude. Oui, ma Mutter , ma
petite Maman, c’est vrai, la Suisse est belle. Nulle autre part je n’ai vu le
printemps mis en valeur avec autant de magnificence, aussi totalement déployé
qu’en Suisse. Te souviens-tu de nos vacances dans le Tessin ? De l’Enchantement
du Vendredi Saint qu’était ce châtaignier ? Ça y est ! Cette fois, je
sais pourquoi plus que tout au monde j’ai ce besoin de t’écrire. C’est avec toi
que j’ai passé les heures les plus heureuses de ma vie. Mon bonheur actuel, c’est
à toi qu’il appartient ! Je sais tout ce que tu as souffert pour l’amour
de moi et jamais je ne l’oublierai. Les liens qui nous unissent sont sans
pareil.
    Il y a très peu de gens au monde qui soient aussi dépendants
l’un de l’autre que toi et moi. Impossible de continuer cette lettre. L’endroit
est trop joli. En fait t’ai-je même écrit du tout ? Juste encore un aveu :
je suis très, très heureux, et je t’aime immensément, infiniment.
    Ton Andréa.
     
    Toutes les femmes avaient envie de lui, à cause de ce
mélange d’italien et d’Allemand qu’il était : passionné, et pourtant
fidèle et sincère. Plein de feu, impétueux, et soudain glücklich und traurig. Et beau comme un astre, en plus – si beau qu’un jour où je le disais à
quelqu’un, cette personne m’a répondu (c’était une femme) : « Comme
un astre ? » Comme un dieu, oui ! » À tous égards c’était
un dieu : les gens recherchaient sa compagnie, tout simplement comme on
cherche le bonheur, ou comme on s’approche de la flamme pour se réchauffer. Il
me consolait de tout. Et cependant il portait en lui un mal effroyable : une
atrophie cérébrale. Le nerf auditif était kaput. La surdité totale n’était
plus que l’affaire d’une dizaine d’années. Le professeur Lucker m’avait tout
expliqué à Bâle. Andréa savait qu’il n’entendait pas bien d’une oreille, il
savait qu’un jour il serait sourd. C’est peut-être pour ça qu’il avait regretté
que la mer ne l’ait pas emporté.
    Il représentait ce type d’amour qu’on ne rencontre jamais qu’une
fois dans sa vie. J’étais malheureuse, et cela sans aucun espoir, avec Tutino ;
j’étais restée avec lui uniquement parce qu’il était le père d’Andréa (tout en
ne l’étant peut-être pas ?). Je lui avais toujours demandé de revenir pour
Andréa.
    Ce qui a pu se passer après la mort de mon fils n’est que
ténèbres. Oui, je dirai ce que je peux de ces ténèbres et de tout le soleil qui
m’éclaira, oh ! si peu de temps, avec l’autre Andréa, le deuxième fils de
Giulietta, mon petit-fils. Une fois de plus, la mort terrible frappa
brutalement, et ce coup-là il n’est plus rien resté de moi, j’étais éteinte, oui,
brûlée jusqu’aux cendres.

ÉPILOGUE
    (par Graham Greene)
     

 
    Avec ce dernier chapitre s’éteignent même les souvenirs de
la Dottoressa. L’effort de mémoire se révéla trop grand. Ne restent que des
fragments – « tas de miroirs brisés » – et un rêve
consolateur. Elle rêva qu’elle approchait de sa vieille maison, non loin de la
piazza de Caprile ; et, levant la tête, elle voyait le grand Andréa debout
sur le balcon, coiffé d’un chapeau à plumes, et le petit Andréa à côté de lui. Il
lui criait de monter. Elle franchissait le seuil de sa demeure, gravissait l’escalier
et les rejoignait sur le balcon, le tout sans se

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