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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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qu’il n’y avait aucun espoir. Impossible
même de pratiquer la résection, c’est-à-dire de couper un bout d’intestin et de
raccorder le tout – il était bien trop tard. Ce qui a fait qu’on l’a
recousu. Oui, on a dû le recoudre avec cette mort en dedans de lui. Dans l’instant
où on a ouvert l’abdomen, tous nous avons su que sa vie était finie. Il n’y
avait plus d’espoir. Me croira qui voudra, mais je n’ai rien ressenti. Rien ! J’étais trop à bout de tout. Je me disais : « Voilà, c’est comme
ça, il va mourir », et ça n’avait pas de sens, ça me laissait froide. Qui,
je mourais avec lui, moi aussi, comme j’avais été avec lui dans la vie. Il
gardait toute sa connaissance. Il pouvait parler. Il demandait ce qu’il avait. Il
comprenait à demi, oui, il se rendait compte à moitié de la gravité du cas… Mais
qu’il allait mourir, ça non, ça lui échappait encore, même s’il avait
conscience de l’extrême sérieux du mal. Pendant la nuit, le chirurgien qui
opérait est revenu à son chevet, mais c’était totalement désespéré, et à deux
heures du matin Andréa est mort.
    C’est abominable de voir partir un être si jeune. Il était
encore chaud, avec tous ses muscles et l’air d’être au bord de se réveiller. Oui,
c’est atroce. Ça vous laisse avec un étonnement terrible, comme si vous voyiez,
de vos yeux, la terre perdre l’équilibre dans l’espace et dégringoler dans le
néant.
    Les gens de l’hôpital ont prévenu un prêtre. Un curé du
genre impossible. Il est arrivé au chevet de ce moribond de vingt et un ans ;
il a débarqué brusquement et débité à toute vitesse ses prières. C’était
abominable. Abominable ! le coup que ça m’a fait quand j’ai pensé :
« Alors c’est ça leur belle religion, c’est comme ça qu’on fait ici ? »
    Toujours ce matin de sa mort, j’ai dû refaire la traversée
avec le bateau de midi, afin d’aller chercher l’argent pour l’enterrement. Car
il fallait tout de même bien l’enterrer. Traverser l’eau et l’abandonner, mon
Andréa, mort, là, tout seul dans cette chambre d’hôpital blanche – comment
trouver la force de faire une chose pareille ? Mais qui d’autre pouvait le
faire, que moi, oui, moi ? Les sous pour l’hôpital, les pompes funèbres, les
funérailles, les formalités – tout cet argent il a fallu que je l’emprunte.
    Rester assise à le regarder mourir, même ça était moins
terrible que de l’abandonner pour retraverser l’eau, cette eau qui avait l’air
maintenant d’une force du mal, détestable s’il en était. Je n’avais que faire
de l’aide de personne, du moment qu’Andréa lui-même n’était plus là pour m’apporter
la sienne. Les choses, je les ai faites dans la stupeur, comme prendre le
bateau pour Capri et parcourir les ponts du navire en marchant vite, très vite,
à croire que je voulais gagner le marathon.
    Je ne sais quel est le pire des chagrins – celui qu’on
a conscience de ressentir, ou celui qui vous ôte toutes vos facultés. Demeurer
au chevet de mon Andréa chéri aurait été un chagrin lucide ; mais je ne
sais pourquoi, le quitter ainsi pour m’en aller seule, l’esprit complètement
brisé et stupide, ça, c’était vraiment trop atroce, c’était même la chose la
plus atroce du monde, peut-être.
    Il gardait le même visage dans la mort, à part cette pâleur
folle, maintenant ; mais le même sourire naturel, épanoui dans les
contours des lèvres et des joues. Comment expliquer que, même à bord de cet
affreux bateau, la vérité, la réalité de sa mort continuaient à m’échapper ;
non, ce n’était pas possible, pas possible…
    J’étais incapable de prier, n’importe qui, y compris Dieu. J’étais
trop fière pour m’adresser à cet Être à qui je souhaitais presque d’endurer le
même martyre atroce que mon pauvre et innocent Andréa, noué à en mourir. C’est
terrible à dire, mais jamais depuis lors je n’ai tourné les yeux vers Lui pour
y chercher réconfort ; seulement parfois vers la Madonna, qui
intercède auprès de ce Sourd-Muet. Mais je m’en lavais les mains pour le moment ;
tous ces grands omnipotents, à quoi étaient-ils bons ? À rien du tout, et
mon silence ne se gênait pas pour le leur dire.
    Toujours est-il qu’à la fin je suis arrivée à Capri. Je suis
allée voir Cerio tout droit et je lui ai fait part de la mort d’Andréa.
    En la circonstance, Cerio fut

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