Le grand voyage
1
A travers la brume poudreuse, la femme aperçut au loin un
faible mouvement et se demanda s’il s’agissait du loup qu’elle avait vu
gambader quelques instants plus tôt.
Elle jeta un coup d’œil inquiet à son compagnon et, plissant les
yeux, chercha le loup dans le nuage qui montait du sol.
— Regarde, Jondalar ! s’écria-t-elle, le doigt tendu.
Sur sa gauche, on devinait les contours de tentes coniques
balayées par les tourbillons de vent.
Embusqué, le loup guettait les êtres bipèdes dont la silhouette
se dessinait de plus en plus clairement dans l’air chargé de poussière, leurs
sagaies pointées vers les nouveaux arrivants.
— Je crois que nous avons atteint la rivière, Ayla, mais on
dirait bien que nous ne sommes pas les seuls à vouloir camper ici, remarqua l’homme
en tirant sur les rênes pour stopper son cheval.
D’une légère pression des jambes, la femme fit arrêter sa jument.
Elle faisait tellement corps avec l’animal qu’elle avait à peine conscience de
le diriger.
Un grondement menaçant sortit de la poitrine du loup et Ayla
nota qu’il avait abandonné sa position défensive pour passer en posture d’attaque.
Il allait bondir ! Elle émit un sifflement aigu, comme un appel d’oiseau
inconnu. Le loup quitta l’affût et s’élança vers la femme à cheval.
— Ici, Loup ! commanda-t-elle, accompagnant son ordre
d’un geste de la main.
Les deux cavaliers s’approchèrent des inconnus postés devant les
tentes, le loup trottant aux côtés de la jument louvette.
Un vent violent et capricieux, chargé de particules de lœss, les
enveloppa, faisant disparaître à leur vue la troupe menaçante. Ayla passa sa
jambe par-dessus la croupe de sa jument et se laissa glisser à terre. Elle s’agenouilla
à côté du loup, une main sur son échine, l’autre contre son poitrail, pour le
calmer et le retenir si nécessaire. Elle sentait la gorge de l’animal frémir d’un
grondement féroce et ses muscles bandés, prêts à la détente. Elle leva la tête
vers Jondalar. Une fine pellicule de poussière recouvrait les épaules et les
longs cheveux blonds de l’homme à la haute stature. La robe de son alezan avait
viré du brun au jaune grisâtre et ressemblait maintenant à celle, plus banale,
de la vigoureuse jument. Whinney – c’était le nom de la jument – et
Ayla avaient aussi la même couleur. Bien qu’on fût encore au début de l’été,
les vents violents qui soufflaient des glaciers du nord desséchaient déjà les
steppes sur un vaste espace au sud des montagnes.
Contre elle, Ayla sentit monter la tension du loup, et c’est
alors qu’elle vit s’avancer, au milieu des hommes armés de sagaies, quelqu’un
habillé comme Mamut les jours de grande cérémonie, les vêtements peints et
décorés de symboles énigmatiques et la tête recouverte d’un masque aux cornes d’aurochs.
— Allez-vous-en, esprits mauvais ! Partez ! hurla
le mamut en agitant un bâton d’un geste menaçant.
Ayla crut déceler une voix féminine à travers le masque. En tout
cas, les mots avaient été prononcés en mamutoï. Bâton levé, le mamut se
précipita vers eux, et Ayla dut retenir le loup. Le personnage masqué se mit à
psalmodier et à danser d’avant en arrière en levant haut les genoux, comme s’il
voulait les effrayer ou les chasser, et ne réussit qu’à faire peur aux chevaux.
Ayla s’étonna de voir Loup prêt à attaquer. D’habitude, les
loups ne s’en prennent pas aux humains. Puis, elle se souvint : elle avait
souvent observé le comportement des loups lorsqu’elle apprenait à chasser. Elle
savait qu’ils étaient affectueux et loyaux avec leur propre bande, mais qu’ils
n’hésitaient pas à chasser les étrangers de leur territoire. On racontait même
que des loups avaient égorgé d’autres loups pour protéger leur groupe.
Pour le bébé loup, recueilli et élevé par Ayla dans le foyer
mamutoï, le Camp du Lion constituait sa bande, et tout autre humain n’appartenant
pas à ce camp était pour lui un loup étranger. Lorsqu’il avait grandi, il s’était
mis à gronder et à montrer les dents quand un étranger leur rendait visite. Là,
en territoire inconnu, celui d’une autre bande, peut-être, il n’était pas
étonnant qu’il se mît sur la défensive à la vue d’hommes armés de sagaies. Pour
quelle raison, d’ailleurs, les habitants de ce Camp les
brandissaient-ils ?
La mélopée était familière
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