La Fille de l’Archer
au chien… Et s’il avait réussi à sortir de la chambre des amants ? Si, en ce moment même, il était en train de se faufiler dans le manoir par l’un des souterrains ?
Il appartient, à coup sûr, à cette race de bêtes qui défendent leur maître jusqu’à la mort… et même après !
« S’il s’est échappé, songe-t-elle, il a couru au sommet du Mauperthuis. Là, il a flairé mon odeur sur le cadavre d’Anne. Il en a déduit que je l’avais tué et que je devais être punie pour ce crime… »
Elle imagine le dogue suivant sa piste dans la neige, redescendant vers le château d’Ornan.
Elle frissonne et se demande si elle réussira à fermer l’œil. Il faut pourtant qu’elle dorme, car, demain, une longue route l’attend.
Mal à l’aise, elle visite plusieurs chambres, cherchant celle où elle pourra se barricader le plus efficacement.
Tout à coup, elle se fige, alertée par l’écho d’une cavalcade feutrée.
« Le chien ! » pense-t-elle aussitôt, en tirant son couteau.
Elle ne sait si elle doit faire face ou s’enfuir. La peur et l’épuisement ont affaibli ses réflexes. Des chuchotements la rassurent bientôt.
— Il y a quelqu’un ? lance-t-elle.
Alors apparaissent Javotte et ses deux filles. Bézélios les suit de près. Ils sont tout à la fois blêmes et noirs de poussière. Le forain explique qu’ils ont eu la présence d’esprit de se cacher dans les greniers quand les assassins ont fait irruption dans le château. Les cris des frimants étripés les ont alertés. Non, ils n’ont pas vu le visage des meurtriers, ils savent seulement qu’ils étaient fort nombreux et accompagnés d’un lion qui rugissait en s’acharnant sur les victimes. Wallah n’a pas le courage de ramener les choses à leurs justes proportions et de leur révéler qu’en fait de bande armée ils n’ont eu affaire qu’à un vieil homme épaulé par un chien.
Bézélios lui demande avec aigreur où elle était passée pendant que Javotte, ses filles et lui-même luttaient pour leur survie en se cachant sous un monceau de paillasses pourries.
Wallah juge inutile d’entrer dans les détails. Elle leur apprend qu’« Ornan » est mort, ainsi que Gérault. Elle improvise une histoire de vengeance entre seigneurs et conclut par le récit d’un duel imaginaire au terme duquel Ornan et son ennemi se sont mutuellement occis. Javotte la dévisage avec suspicion mais n’ose formuler ses doutes à haute voix. Wallah a le sentiment de ne pas s’être montrée convaincante. Tant pis ! ils devront se satisfaire de cette fable. Au reste, ils n’insistent pas.
— Alors le château est à nous ! s’exclame Bézélios, la face fendue d’un sourire.
— Il ne serait guère sage d’y prendre racine, soupire la jeune fille. Si quelqu’un nous surprenait ici, il s’empresserait de nous accuser d’assassinat. Nous aurions beau protester, notre parole ne pèserait pas lourd. Mieux vaut quitter la région sans nous faire remarquer.
Le saltimbanque bougonne, mécontent. Le temps d’une éphémère rêverie, il s’est vu, installé comme un seigneur, dormant dans le lit de l’ancien maître des lieux.
— Wallah a raison ! intervient Javotte. Cet endroit est maudit. Si la nuit n’était pas en train de tomber, j’aurais déjà relevé mes jupes pour courir sur la route qui mène à la vallée.
— D’accord, grommelle Bézélios, mais nous ne partirons pas sans avoir récupéré les gages promis par Gérault.
Et, sans attendre, il s’élance à travers les salles, à la recherche de la cassette où l’intendant conservait de quoi régler les dépenses courantes.
Jusqu’à une heure avancée de la nuit il fouillera en vain coffres, huches et armoires. L’or des Bregannog est bien caché et le château trop vaste pour faire l’objet d’une perquisition minutieuse.
Arrivés pauvres, les saltimbanques devront s’en retourner pauvres. C’est là un état de chose que Bézélios ne peut admettre. Un moment, il caresse le vague projet de voler l’une des statues en or qui trônent ici et là, mais il y renonce, sachant qu’elle serait difficile à monnayer. Par ailleurs, s’ils ont le malheur d’être arrêtés par les gens du guet, on les accusera de vol, et ils seront condamnés à avoir les mains tranchées.
*
Wallah dort d’un sommeil entrecoupé de cauchemars où le chien de guerre apparaît plus souvent qu’à son tour. Elle accueille le jour comme
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