La Fille de l’Archer
arrivée.
Ses dents claquent sous l’effet conjugué du gel et de la peur.
Elle essaye d’ordonner ses pensées. L’arc qu’elle n’a pas lâché restera inutile tant qu’elle n’aura pas remis la main sur les flèches. Il lui faut retrouver l’endroit où le carquois s’est vidé à son insu, et pour cela gagner le chemin de ronde. Elle a conscience que le temps file, et qu’Anne de Bregannog aura atteint le pic de Mauperthuis dans moins d’une heure. Jamais elle ne pourra le rattraper avant qu’il ne porte à ses lèvres la flûte ensorcelée. Le seul moyen d’empêcher la catastrophe serait d’avoir recours au pouvoir magique accordé par La Murée.
« Tu connais maintenant le visage d’Anne, se dit-elle, tu l’as contemplé sur le panneau peint. Tu sais à quoi il ressemblait il y a vingt-cinq ans, tu n’auras qu’à l’imaginer avec quelques rides en plus, des cheveux gris… »
Oui, mais si, entre-temps, il s’était laissé pousser la barbe ? Cela ne risque-t-il pas d’empêcher la flèche de trouver sa cible ? La Murée n’a-t-elle pas insisté sur ce point ?
« Si l’image sur laquelle je me concentre est différente de la cible réelle, la magie ne fonctionnera pas… la flèche se perdra », pense Wallah, en proie au doute.
« Idiote, lui souffle une voix. Tu n’as qu’à tirer deux flèches, la première en pensant à ta cible le visage glabre, la seconde en l’imaginant barbu. »
Oui ! C’est ce qu’elle fera. Ainsi ne risque-t-elle pas de se tromper.
Arrivée sur le chemin de ronde, elle retrouve sans difficulté l’endroit d’où elle a sauté. Elle ne voit aucune flèche sur le sol, c’est donc qu’elles ont dû tomber dans la neige, au pied de la muraille. Elle n’a d’autre solution que d’enjamber les créneaux une fois de plus. Elle se réceptionne sans trop de mal et se met aussitôt à creuser, en vain. Elle se demande si Anne de Bregannog, obéissant à un réflexe de vieux guerrier, ne les aurait pas récupérées en quittant le château, comme c’est la règle sur les champs de bataille où tout ce qui peut encore servir est ramassé. C’est probable, car la neige est constellée de traces de pas.
Les mains gelées, elle creuse, creuse… Ses doigts lui font mal, ses ongles sont autant de clous plantés dans sa chair.
Elle pousse un cri de joie quand elle touche enfin la hampe d’une unique flèche, la seule qui ait échappé à la cueillette d’Anne. Elle l’essuie, vérifie qu’elle n’est pas gauchie. Non, on n’a pas marché dessus, elle est parfaite.
Il lui faut se dépêcher, car le vent se lève. Elle porte les doigts à sa bouche pour les réchauffer et se tourne vers le pic de Mauperthuis qui se dresse sur sa gauche. Le vieux fou est quelque part là-bas, sans doute à mi-pente. Il ne lui faudra guère de temps pour atteindre le sommet.
Wallah encoche le projectile sur l’arc turquois. Elle n’a pas le droit de se tromper. Les yeux clos, elle s’applique à reconstituer mentalement l’image du portrait. Avec ou sans barbe ? Telle est la question.
Le poil sur le visage protège du froid ; ceux qui vivent dans les neiges ont coutume de laisser pousser leur pilosité. Ainsi faisaient les Vikings. Il y a fort à parier qu’Anne de Bregannog les a imités…
Oui, mais il y a longtemps que les chevaliers ont pris l’habitude de se raser, car, sous le heaume, la barbe tient chaud. Anne, en vieux soldat, a pu continuer à pratiquer ce rituel…
Avec ou sans barbe ?
Si elle se trompe, la flèche ne touchera pas sa cible, elle tombera sur le sol, ayant en vain épuisé l’influx magique qui l’aura portée à travers les airs.
Il faut se décider, maintenant, avant que le baron ne porte la flûte à ses lèvres et…
Au même instant, la musique funèbre qu’elle a entendue à deux reprises lui parvient, amenée par le vent. Anne de Bregannog est déjà en place, au sommet du pic. Dominant la montagne, il joue, utilisant la caisse de résonance du col pour déclencher l’avalanche.
Il n’est plus temps de réfléchir. Wallah ramène le bras en arrière. « Sans barbe ! » décide-t-elle. Et elle lâche la flèche.
Ensuite, elle reste là, les bras ballants, écoutant la musique aigrelette qui ricoche en échos plaintifs de rocher en rocher. Elle attend le moment où le sol commencera à trembler sous ses pieds, où le manteau neigeux se détachera du sommet pour dévaler la pente en grondant.
Elle guette
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