La Fille de l’Archer
du brasier est en train de se refermer sur les baladins.
« Nous sommes encerclés ! » constate Wallah. Elle recule en titubant et cherche à se rappeler si elle a aperçu, chemin faisant, un endroit qui pourrait servir de refuge. C’est Javotte qui hurle la réponse :
— Par là ! Par là ! il y a une espèce de caverne… Une galerie de mine…
La chaleur est atroce, Wallah a l’impression que la chair de ses joues commence à cuire. Ses cheveux empestent le crin brûlé.
Elle se lance dans le sillage de Javotte dont la robe, noircie par la fumée, a pris l’aspect d’un vêtement de deuil.
Les buissons d’épines s’embrasent les uns après les autres, au milieu d’une explosion jaune, à croire que leurs baies sont emplies de poudre à canon. Par quelle diablerie les fibres de ces arbres sont-elles devenues aussi inflammables que le mythique feu grégeois ? Quelle substance mystérieuse la sève véhicule-t-elle au cœur des troncs et des branches ?
Javotte s’est trompée, il ne s’agit ni d’une mine ni d’une caverne mais d’une faille naturelle ouverte dans le sol par un glissement de terrain. Qu’importe ! le tunnel encombré de racines s’enfonce au cœur de la terre. Les baladins, au terme d’une bousculade qui manque de tourner à l’empoignade, s’y engouffrent en s’écorchant les épaules aux aspérités des parois. Il leur faut devenir taupes, ramper en aveugle au sein de ce boyau humide qui va en se resserrant mais serpente à plus de dix pieds sous terre. Bézélios, qui a été le premier à s’y engager, est arrêté par un cul-de-sac et hurle à ceux qui le suivent :
— Cessez de pousser !
Ils s’immobilisent, le cœur battant, la respiration courte. L’air est rare, mais l’on est si loin de la surface que la lumière de l’incendie ne parvient pas à amoindrir les ténèbres du tunnel. Au-dessus d’eux, le brasier fait rage. Toute la forêt brûle, enserrant le pied de la montagne d’un anneau de feu dont la chaleur infernale grimpe à l’assaut des pentes et, au terme de sa course, lèche le sommet.
Alors arrive ce à quoi personne n’avait pensé. La neige, ramollie, se détache des parois rocheuses. Les congères fondent et croulent. Les éboulements se font avalanche. Et soudain, c’est la catastrophe, celle qu’Anne de Bregannog rêvait de déclencher. Les éboulements s’additionnent, formant une masse énorme qui dévale la pente, dévastant tout sur son passage. Les murailles du château d’Ornan explosent sous la poussée fantastique. Le donjon se couche. Les merveilles ramenées d’Orient sont emportées par le flot blanc et poudreux, jetées au fond de crevasses aussitôt comblées.
Recroquevillés dans leur boyau, les baladins sentent la terre trembler sans comprendre ce qui arrive. Javotte et ses filles hurlent, mais leurs cris se perdent dans un fracas de fin du monde. Il leur semble que mille chevaux géants galopent au-dessus de leurs têtes, faisant voler la montagne en éclats sous le martèlement de leurs sabots.
L’avalanche frappe la forêt, sectionnant les arbres au ras des racines. Le temps de compter jusqu’à dix, le bois des sorcières a cessé d’exister. Les troncs, poussés en vrac, ont roulé sur le village, laminant les chaumières, écrasant les habitants. La caverne des patarins a été submergée par la neige et la glace, bouchée, remplie. Nul n’a eu le temps d’en sortir.
Le tumulte s’apaise enfin. Au fond du boyau, Wallah et ses compagnons commencent à manquer d’air. La jeune fille rampe à reculons car le passage est si étroit qu’elle ne peut se retourner. Lentement, elle se rapproche de la sortie obstruée par l’avalanche. Arrivée là, elle trouve assez d’espace pour pivoter sur elle-même et, à l’aide de son couteau, creuse le mur de neige. Par chance, celle-ci n’est pas assez compacte pour offrir une réelle résistance à la lame. Par ailleurs, les rayons du soleil la ramollissent déjà. À demi asphyxiée, Wallah taillade la glace avec rage, se rapprochant peu à peu de la surface. Des bourdonnements lui emplissent les oreilles tandis qu’un essaim de points noirs virevolte devant ses yeux. Elle ne perd pas courage : la lumière du jour, qui rend la neige opalescente, lui indique qu’elle est sur le point d’émerger à l’air libre. Un éboulement lui facilite la tâche, et c’est à quatre pattes qu’elle s’extirpe du tunnel.
Son premier réflexe est de
Weitere Kostenlose Bücher