La Fille de l’Archer
coudée pour permettre à la porte de s’ouvrir.
— Pas trop ! insiste Wallah, sinon le chien risque de nous repérer sous le sommier.
Ils ont prévu de faire retomber le drap jusqu’au sol, tel un rideau de théâtre, afin de dissimuler leur présence. Le reste sera affaire de chance et de rapidité.
Empoignant le sommier, ils le tirent vers l’intérieur en essayant de faire le moins de bruit possible, mais déjà, de l’autre côté du battant, le chien a deviné que l’ennemi faisait mouvement, et grogne.
Jehan s’en va taper du poing contre la porte pour l’exciter davantage, il profère des insultes, puis il rejoint l’adolescente sous le lit. Ils se serrent l’un contre l’autre, retenant leur souffle. Wallah peut sentir le cœur de son compagnon cogner contre son flanc. Elle a la gorge sèche et du mal à respirer.
Dans le couloir, le molosse fait des bonds et gronde, au comble de la fureur, ne supportant pas d’être défié. Wallah, qui est la plus mince, tend le bras hors de la cachette et, s’aidant de la pointe de son coutelas, libère le loquet. Il suffit désormais que la bête pose les pattes sur le battant pour que celui-ci s’entrouvre sous son poids.
— Sale bête ! lance encore l’écuyer. Fiche le camp !
Comme s’il comprenait les injures dont on l’abreuve, le chien de guerre se rue contre la porte qui, n’étant plus fermée au verrou, s’entrebâille. Il s’introduit dans la chambre par cette ouverture en grognant de fureur et asperge le pavé de sa bave. Wallah se recroqueville sous le lit. La puanteur du fauve lui saute au visage. Déjà, le molosse a franchi d’un bond l’obstacle du matelas, pour se jeter sur les cadavres.
Aussitôt, l’adolescente rampe hors de l’abri et se glisse par la porte. L’ample robe gêne ses mouvements. Ça y est ! elle est dans le couloir. Derrière elle, Jehan s’apprête à suivre le même chemin. Hélas, la dague qu’il n’a pas lâchée racle les dalles, et ce bruit éveille l’attention du chien. Avant que l’écuyer ait eu le temps de se faufiler dans l’ouverture, le fauve se glisse sous le lit et referme ses mâchoires sur le mollet de l’homme qui hurle de souffrance et de terreur.
Dans le couloir, agenouillée au seuil, Wallah ne sait que faire.
S’arc-boutant sur ses pattes postérieures, le chien de guerre a entrepris de ramener le fuyard dans la chambre pour le déchiqueter à son aise. Jehan se débat, expédiant des coups de couteau au hasard, mais c’est à peine si le molosse tressaille sous les blessures.
Pétrifiée, Wallah sait d’ores et déjà que l’écuyer est perdu. Elle ne pourra lui porter secours. Si elle commettait l’erreur d’entrer dans la pièce, elle subirait le même sort. Jehan pousse un dernier cri qui s’achève en gargouillement. Le dogue lui a broyé la gorge et, déjà, relève le museau pour fixer sa nouvelle proie. Le sang lui dégouline des babines. Wallah claque la porte et la bloque au moyen du coin de bois préparé à cette intention. Bondissant par-dessus le lit, le chien s’est jeté contre le battant et s’exaspère de le trouver fermé. Il ne sait comment l’ouvrir et, faute de mains, ne peut actionner la poignée. Par ailleurs, la cale, fermement coincée à coups de talon, empêche le lourd panneau de pivoter sur ses gonds. Un homme viendrait facilement à bout de ces obstacles, mais le molosse en est réduit à trépigner en cognant de la tête contre l’huis. Wallah espère de toutes ses forces qu’il va saigner à mort et s’affaiblir.
Elle s’éloigne en tremblant. Par chance, Anne de Bregannog a planté un flambeau allumé dans une torchère, au bout de la galerie ; elle se guide sur cette lueur, puis, ayant récupéré le flambeau, se dirige vers la sortie.
Le froid lui coupe la respiration. Elle n’est pas vêtue pour affronter la température du dehors. La robe de la morte, avec son décolleté, n’est destinée qu’à aguicher les mâles. Ce n’est pas en cette tenue qu’elle pourra s’élancer à la poursuite d’Anne. Dans l’atelier de tannerie, elle récupère des fourrures dont elle s’enveloppe et qu’elle attache sur son corps au moyen de liens de cuir. Ainsi déguisée, elle a davantage l’air d’un loup-garou que d’une femme ; elle s’en moque, elle a trop froid. Après la chaleur d’étuve de la chambre mortuaire, l’hiver qui règne au sommet de la montagne lui paraît dix fois plus cruel qu’à son
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