La Fille de l’Archer
les vibrations. Elle compte. Un… deux… trois…
Et soudain la musique s’arrête, coupée net.
L’espoir lui dilate la poitrine. Elle attend, mais rien ne vient. Alors, d’un pas décidé, elle prend la direction du pic de Mauperthuis.
L’escalade s’avère plus facile qu’elle ne croyait. Elle n’a qu’à mettre ses pas dans les traces du baron. Au terme de son ascension, elle le trouve, couché sur le dos, la flèche fichée dans le cœur, jusqu’à mi-hampe. Ses doigts déformés par les blessures et les rhumatismes sont crispés sur la flûte d’os. Elle examine le visage ridé et glabre. Exception faite des cheveux gris, c’est à peu près celui du tableau.
D’un geste sec, elle s’empare du carquois bien garni et le jette sur son épaule. « Prise de guerre », aurait dit Gunar.
Avant de s’en retourner, elle récupère la flûte, la pose sur une pierre, puis l’écrase d’un coup de talon.
Voilà, c’est fini. Elle n’a plus rien à faire ici. Il lui faut maintenant redescendre au château d’Ornan, en espérant que les loups ne l’attaqueront pas en chemin.
1 - Puisque cela plaît aux dieux.
2 - Vendetta. Obsession de la vengeance très vivace au Moyen Âge.
20
La tempête calmée, le vent est tombé. Les loups n’ont pas attaqué Wallah, sans doute parce qu’ils ont flairé sur les fourrures dont elle est enveloppée l’odeur d’Anne de Bregannog, leur persécuteur.
Bien qu’il soit plus facile de descendre que de monter, l’adolescente trouve la route du retour interminable. Lorsqu’elle distingue enfin les tourelles du château d’Ornan, elle se prépare au pire. Elle se demande ce qu’elle va devenir maintenant que les saltimbanques ont été tués. Ils ne se montraient guère affectueux, certes, mais ils lui donnaient au moins l’illusion d’appartenir à un clan, de n’être point seule.
La grande porte est ouverte. À cette altitude il fait moins froid qu’au sommet ; la neige commence déjà à fondre car le soleil s’est dégagé de sa gangue de nuages.
Wallah pénètre dans la cour. Tout de suite, elle trouve La Grogne, gisant sur les pavés, la gorge tranchée. Dans la salle commune, elle bute sur les corps de Petit-Berlot et de La Fouillette – presque fendus en deux –, mais nulle part elle ne trouve trace de Bézélios, et pas davantage de Javotte et de ses filles. Ont-ils tenté une sortie ? Anne a-t-il lancé à leurs trousses le chien d’enfer qui les a déchiquetés ? C’est probable. Pour l’heure, elle est trop fatiguée pour persévérer dans ses recherches. Elle veut manger et se réchauffer. Dans la cuisine, elle doit enjamber les dépouilles des esclaves maures à qui on a tranché la tête. Les sens engourdis par les épreuves qu’elle vient de vivre, Wallah reste impassible devant ce spectacle. Au vrai, elle a l’impression qu’elle n’éprouvera plus rien jusqu’au terme de sa vie. L’excès d’angoisse a tué en elle tout sentiment. Elle ouvre le garde-manger, y prend une pile de galettes, un bol d’olives, une poignée de piments et un reste de jambon fumé. Assise à la grande table, elle mange lentement, le regard fixe. La nourriture la réconforte. Elle la fait descendre à grandes goulées de bière amère. Au bout d’un moment, la tête lui tourne, mais ce n’est pas désagréable.
Elle a du mal à se persuader qu’elle est tirée d’affaire et qu’Anne de Bregannog est bien mort. Il lui semble qu’il va soudain se matérialiser au détour d’un couloir, décharné et ricanant, suivi de son chien couvert de sang. En prévision de cette apparition, elle conserve le coutelas à portée de main.
Elle boit encore un gobelet de bière dans l’espoir de se réchauffer et quitte la cuisine. Dans sa chambre, elle se débarrasse des fourrures trempées pour enfiler les seuls vêtements de rechange dont elle dispose. S’ils ne sont pas chauds, ils ont au moins le mérite d’être secs.
Elle est tentée de quitter le château sans tarder, hélas ! la nuit va bientôt tomber, et il serait hasardeux de zigzaguer au milieu des crevasses dans l’obscurité. Elle se promet de partir au lever du jour. Elle fera un détour pour éviter le campement des patarins, afin de ne point avoir à répondre aux questions pressantes de Manito qui doit s’inquiéter de la disparition de Robin et d’Arnolfo.
Ayant allumé un flambeau, elle fait le tour du château, inquiète à l’idée d’y dormir seule. Elle pense
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