La Fin de Pardaillan
blanche qu’il avait dans ses moments d’émotion violente :
– Lisez.
Valvert prit le billet et le parcourut des yeux. Voyant qu’il demeurait comme écrasé, après avoir lu jusqu’au bout, Pardaillan demanda :
– Eh bien ?… Que dites-vous de M me Fausta ?
– Qu’est-ce que c’est donc que cette femme capable de concevoir d’aussi diaboliques machinations et de les mettre à exécution ? s’indigna Valvert avec toute la véhémence de son cœur ardent et généreux.
– C’est Fausta ! répondit Pardaillan en levant les épaules.
– Qu’est-ce que cette mère, cette aïeule capable de sacrifier froidement ses propres enfants à d’inavouables et de misérables projets d’ambition ?
– C’est Fausta ! répéta Pardaillan avec plus de force.
– Dites que c’est une bête venimeuse et puante !… Quelque démon sorti de l’enfer tout exprès pour nous tourmenter !…
– C’est Fausta ! c’est Fausta ! et cela dit tout ! répéta une troisième fois Pardaillan dans un éclat de rire.
– Et vous croyez qu’elle mettra son horrible menace à exécution ? demanda Valvert sur un ton qui marquait quelque incrédulité.
– N’en doutez pas ! s’écria vivement Pardaillan. Quand il s’agit de faire le mal, Fausta tient toujours au-delà de ce qu’elle promet.
– Qu’allez-vous faire ? demanda encore Valvert après un court silence.
– Je n’en sais rien… Et c’est bien ce qui m’inquiète et me déconcerte, avoua Pardaillan.
Il y eut un nouveau silence entre les deux hommes. Pardaillan réfléchissait en tordant sa moustache d’un geste machinal. Il semblait s’être tout à fait ressaisi. Il n’éprouvait plus ni indignation, ni colère, ni chagrin. Il envisageait froidement la situation angoissante à laquelle Fausta venait de l’acculer. Et il cherchait dans son esprit comment il pourrait parer le coup, sans éveiller la susceptibilité de sa trop scrupuleuse conscience.
– En somme, dit-il, formulant tout haut la pensée secrète qui le harcelait, il me faut choisir entre manquer à la parole que j’ai donnée au feu roi Henri IV, ce qui serait me déshonorer à tout jamais, ou abandonner ma petite-fille et faire ainsi – comme l’a très bien écrit l’infernale Fausta – le désespoir de mon fils et de ma bru, ce qui serait une méchante et abominable action.
Valvert se garda bien de répondre : il voyait que Pardaillan l’avait oublié et parlait pour lui-même, trahissant ainsi le désarroi tragique dans lequel se débattait sa conscience.
Ce ne fut qu’un oubli passager. Déjà, Pardaillan était redevenu maître de lui-même et de sa pensée. Il revint au sentiment de la réalité, c’est-à-dire à Valvert. Et, comme s’il répondait à la question qu’il lui avait posée l’instant d’avant, il dit, avec un calme apparent :
– C’est une question qui ne peut être ainsi résolue de but en blanc… je verrai, je chercherai… Rien ne presse, après tout… Que diable, je finirai bien par trouver la bonne solution, celle qui conciliera tout et me laissera la conscience en repos.
Il rentra le poignard dans sa gaine de velours, plia le papier en quatre, mit le tout dans sa poche, et comme si de rien n’était :
– Nous n’avons plus rien à faire ici, partons, dit-il de sa voix qui avait retrouvé son calme accoutumé.
Ils sortirent, franchirent de nouveau la haie, se remirent en selle et partirent au petit trot. Ils traversèrent le village sans prononcer une parole. Quand ils eurent dépassé la dernière maison, qu’ils se trouvèrent de nouveau en rase campagne, ils se mirent au pas et ils échangèrent leurs impressions.
– Eh bien, fit Pardaillan, croyez-vous toujours que M me Fausta est un adversaire à dédaigner ?
– Je ne l’ai jamais pensé, monsieur, protesta vivement Valvert. J’avoue cependant que, malgré tout ce que vous m’en aviez dit, malgré tout ce que j’ai vu par moi-même, je ne m’attendais pas à trouver en elle un adversaire aussi dénué de scrupules et capable de recourir à d’aussi méprisables procédés.
– Bah ! ceci n’est rien, fit Pardaillan qui avait repris son air et ses manières ordinaires. Ce que je veux vous faire remarquer, ce qu’il est indispensable que vous vous mettiez dans la tête, faute de quoi votre perte est certaine, c’est qu’avec elle il faut toujours prévoir le pire des pires, si l’on ne veut pas être tout déferré
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