La Flèche noire
il arriva à la porte de la cellule où l’homme blessé gisait, gémissant. À son entrée, Carter sursauta violemment.
– Avez-vous amené le prêtre ? demanda-t-il.
– Pas encore, répondit Dick. Vous avez un mot à me dire d’abord. Comment mon père, Harry Shelton, a-t-il trouvé la mort ?
La figure de l’homme s’altéra soudain.
– Je ne sais pas, répondit-il, bourru.
– Si, vous le savez, répondit Dick, ne cherchez pas à m’éviter.
– Je vous dis que je n’en sais rien, répéta Carter.
– Alors, répondit Dick, vous mourrez sans confession. Ici je suis et ici je resterai. Il ne viendra aucun prêtre près de vous, soyez-en sûr. Car à quoi vous servirait la pénitence si vous n’avez pas l’intention de réparer le mal que vous avez fait ! Et, sans la pénitence, la confession n’est qu’une moquerie.
– Vous dites ce que vous n’avez pas l’intention de faire, maître Dick, dit Carter, tranquillement. Il est mal de menacer un mourant et, à dire vrai, cela ne vous va pas. Et, pour peu louable que ce soit, ce sera encore plus inutile. Restez si cela vous plaît. Vous condamnerez mon âme… Vous n’apprendrez rien ! C’est mon dernier mot. Et le blessé se tourna de l’autre côté.
En réalité, Dick avait parlé sans réfléchir et il était tout honteux de sa menace. Cependant il fit un nouvel effort.
– Carter, dit-il, comprenez-moi bien. Je sais que vous n’étiez qu’un instrument dans la main des autres ; un rustre doit obéissance à son seigneur, je ne voudrais pas le charger trop durement. Mais je commence à apprendre de bien des côtés que ce grand devoir pèse sur ma jeunesse et mon ignorance : venger mon père. Je t’en prie donc, mon bon Carter, oublie mes menaces et par pur bon vouloir et en honnête pénitence, dis-moi un mot qui m’aide.
Le blessé garda le silence ; et, quoi que Dick pût dire, il n’en tira pas un mot.
– Bien, dit Dick, je vais aller chercher le prêtre comme vous le désirez ;car, que vous ayez commis des fautes vis-à-vis de moi ou des miens, je ne veux pas en commettre envers qui que ce soit, encore moins contre un homme à ses derniers moments.
Le vieux soldat continua à garder le silence et l’immobilité ; même il retenait ses plaintes, et, lorsque Dick se retourna et quitta la chambre, il admira cette rude force d’âme.
– Et, pourtant, pensait-il, à quoi sert le courage sans l’esprit ? Si ses mains avaient été pures, il aurait parlé, son silence confesse le secret plus haut que les paroles. Oui, de tous côtés, les preuves affluent. Sir Daniel, lui ou ses hommes, ont fait cela.
Dick s’arrêta dans le couloir, le cœur lourd. À ce moment, au déclin de la fortune de Sir Daniel, quand il était assiégé par les archers de la Flèche-Noire et proscrit par les Yorkistes victorieux, devait-il, lui aussi, se tourner contre l’homme qui l’avait nourri et élevé, qui l’avait, il est vrai, sévèrement puni, mais en même temps avait sans défaillance protégé sa jeunesse ? Cette nécessité, si elle devait se produire, était cruelle.
– Le ciel fasse qu’il soit innocent, dit-il.
Des pas résonnèrent sur les dalles, et Sir Olivier, grave, arriva près du jeune homme.
– On vous demande ardemment, dit Dick.
– Je suis en chemin, mon bon Richard, dit le prêtre. C’est ce pauvre Carter. Hélas ! pas de guérison à espérer.
– Et son âme est encore plus malade que son corps, répondit Dick.
– L’avez-vous vu ? demanda Sir Olivier avec un tressaillement visible.
– Je le quitte à l’instant, répliqua Dick.
– Qu’a-t-il dit ? qu’a-t-il dit ? interrompit le prêtre avec une vivacité extraordinaire.
– Il vous demandait de la façon la plus lamentable, Sir Olivier. Vous feriez bien d’y aller au plus vite, car sa blessure est dangereuse, répliqua le jeune garçon.
– J’y vais de ce pas, fut la réponse. Oui, nous avons tous nos péchés. Nous devons tous arriver à notre dernier jour, mon bon Richard.
– Oui, Monsieur, et tout serait bien si nous y arrivions honnêtement, répliqua Dick.
Le prêtre baissa les yeux, et avec une bénédiction marmottée s’éloigna rapidement.
– Lui aussi ! pensa Dick… lui qui m’a enseigné la piété ! Mais alors quel monde est celui-ci, si tous ceux qui ont pris soin de moi sont coupables de la mort de mon père ! Vengeance ! Hélas ! quel
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