La Flèche noire
triste sort que le mien si je dois me venger sur mes amis !
Cette pensée lui rappela Matcham. Il sourit au souvenir de son étrange compagnon et se demanda où il était. Depuis que tous deux étaient arrivés à la porte de Moat-House, le plus jeune garçon avait disparu, et Dick commençait à désirer vivement de causer avec lui.
Environ une heure après, Sir Olivier ayant dit la messe plus tôt, vite la compagnie se réunit pour dîner dans le hall. C’était une pièce longue, basse, jonchée de rameaux verts, aux murs couverts de tenture représentant des sauvages et des limiers de chasse. Çà et là étaient pendus des épées, des arcs, des boucliers ; un feu flambait dans la grande cheminée ; contre le mur il y avait des bancs recouverts d’étoffes, et au milieu la table bien servie attendait l’arrivée des dîneurs.
Ni Sir Daniel ni sa femme ne parurent. Sir Olivier était absent ; là non plus, il ne fut pas question de Matcham. Dick commençait à être inquiet, il se rappelait les tristes pressentiments de son compagnon, il se demandait s’il ne lui était rien arrivé de sinistre dans cette maison.
Après le dîner, il rencontra Goody Hatch, qui se hâtait vers Lady Brackley.
– Goody, dit-il, où est maître Matcham, je te prie ? Je vous ai vue entrer dans la maison avec lui quand nous sommes arrivés ?
La vieille femme rit à pleine gorge.
– Ah ? maître Dick, dit-elle, vous avez de fameux yeux, pour sûr, et elle rit de plus belle.
– Mais où est-il ? insista Dick.
– Vous ne le reverrez jamais, répliqua-t-elle, jamais, c’est sûr.
– Si je ne dois plus le revoir, je veux en savoir la raison. Il n’est pas venu ici de son plein gré ; tel que je suis, je suis son meilleur protecteur et je veux le voir bien traité. Il y a trop de mystères ici et je commence à en avoir assez.
Comme Dick parlait, une lourde main tomba sur son épaule. C’était Bennet Hatch qui s’était approché de lui sans qu’il s’en aperçût. D’un signe rapide le lieutenant renvoya sa femme.
– Ami Dick, dit-il aussitôt qu’ils furent seuls ; êtes-vous un sauvage lunatique ? Si vous ne laissez pas certaines choses tranquilles, vous serez mieux au fond de la mer qu’ici à Tunstall, à Moat-House. Vous m’avez questionné, vous avez questionné, harcelé Carter ; vous avez effrayé le faquin de prêtre avec des allusions. Soyez plus prudent, fou ; et à présent, quand Sir Daniel vous fera demander, montrez-moi une figure calme, au nom de la prudence. Vous allez être questionné de près. Attention à vos réponses.
– Hatch, répondit Dick, dans tout ceci je flaire une conscience coupable.
– Et si vous n’êtes pas plus prudent, on flairera du sang… répliqua Bennet. Je vous avertis. Voici qu’on vient vous chercher.
En effet, juste à ce moment, un messager traversa la cour pour inviter Dick à se présenter devant Sir Daniel.
CHAPITRE II
LES DEUX SERMENTS
Sir Daniel était dans le hall ; il allait et venait rageusement devant le feu en attendant Dick. Il n’y avait personne que Sir Olivier, assis discrètement dans un coin, qui feuilletait son bréviaire et marmottait.
– Vous m’avez fait demander, Sir Daniel ? dit Shelton.
– Je vous ai fait demander, parfaitement, répondit le chevalier. Qu’est-ce que j’apprends ? Ai-je été pour vous un mauvais tuteur que vous vous hâtiez de croire au mal que l’on conte sur moi ? Ou parce que vous me voyez battu pour cette fois, pensez-vous à quitter mon parti ? Par la messe, votre père n’était pas ainsi ! Là où il était, il restait, malgré vents et marée. Mais vous, Dick, vous êtes un ami des beaux jours, à ce qu’il paraît, et, aujourd’hui, vous cherchez à vous débarrasser de la foi due.
– Ne vous plaise, Sir Daniel, cela n’est pas, répliqua Dick fermement. Je suis reconnaissant et fidèle, où la gratitude et la foi sont dues. Et, avant d’en dire davantage, je vous remercie et je remercie Sir Olivier ; j’ai contracté une grande dette envers vous deux… aucune ne peut être plus grande ; je serais un chien si je l’oubliais.
– C’est bien, dit Sir Daniel ; et alors se mettant en colère : Reconnaissance et fidélité sont, des mots, Dick Shelton, continua-t-il ; je regarde les actes. À cette heure de péril pour moi, lorsque mon nom est hors la loi, lorsque mes terres sont confisquées, lorsque ce
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