La Flèche noire
ainsi, se tenant les deux mains, échangeant des sourires et des regards tendres, et les minutes se changeaient en secondes ; et ils auraient continué ainsi toute la nuit. Mais bientôt il y eut du bruit derrière eux ; et ils aperçurent la petite jeune dame, un doigt sur les lèvres.
– Dieu ! s’écria-t-elle, quel bruit vous faites ! Ne pouvez-vous parler à voix basse ? Et à présent, Joanna, ma jolie fille des bois, que donnez-vous à votre commère pour vous avoir amené votre amoureux ?
Joanna courut à elle et, comme réponse, la prit dans ses bras.
– Et vous, Monsieur, ajouta la jeune dame, que me donnerez-vous ?
– Madame, répondit Dick, je voudrais vous payer de la même monnaie.
– Venez donc, on vous le permet.
Mais Dick rouge comme une pivoine lui baisa la main.
– Est-ce que ma figure vous fait peur, beau sire ? demanda-t-elle avec une révérence jusqu’à terre ; puis, lorsque Dick l’eut enfin embrassée très froidement, – Joanna, dit-elle, votre amoureux est très timide sous vos yeux ; mais je vous garantis que, quand nous nous sommes d’abord rencontrés, il était plus vif. Je suis toute noire et bleue, ma fille, ne me croyez jamais si je ne suis pas noire et bleue ! Eh bien ! continua-elle, avez-vous tout dit ? Car il faut que je renvoie vivement le paladin.
Mais à ces mots tous deux s’écrièrent qu’ils n’avaient encore rien dit, que la nuit ne faisait que commencer et qu’ils ne voulaient pas être séparés si tôt.
– Et le souper ? demanda la jeune dame, ne devons-nous pas descendre au souper ?
– Ah ! c’est vrai ! dit Joanna, je l’avais oublié.
– Cachez-moi alors, dit Dick, mettez-moi derrière les tentures, enfermez-moi dans un coffre, ou tout ce que vous voudrez, que je sois là quand vous reviendrez. Songez donc, belle dame, dans quelle triste situation nous sommes, et que nous ne devrons jamais plus nous revoir, après cette nuit jusqu’à l’heure de notre mort.
À ces mots, la jeune dame s’adoucit, et, quand, peu après, la cloche convia la maison de Sir Daniel à passer à table, Dick fut planté bien droit contre le mur à un endroit ou une séparation dans la tapisserie lui permettait de respirer librement et même de voir dans la chambre.
Il n’avait pas été longtemps dans cette position, quand il fut assez bizarrement dérangé. Le silence à l’étage supérieur de la maison n’était interrompu que par le pétillement des flammes et le sifflement d’une souche verte dans la cheminée ; mais bientôt l’oreille tendue de Dick entendit le bruit d’un homme qui marche avec une extrême précaution ; peu après la porte s’ouvrit, et un nain à face noire, vêtu de la livrée de lord Shoreby, introduisit d’abord la tête, puis son corps difforme dans la chambre. Sa bouche était ouverte comme pour mieux entendre ; et ses yeux, qui étaient très brillants, remuaient sans cesse et vivement de tous côtés. Il tourna et retourna autour de la chambre, frappant ici et là sur les tentures, mais Dick, par miracle, échappa à son inspection. Alors il regarda sous les meubles, et examina la lampe,et enfin avec un air de vif désappointement se préparait à sortir aussi silencieusement qu’il était venu, quand il se mit à genoux, ramassa quelque chose dans les rameaux, sur le plancher, l’examina et avec tous les signes de la joie le cacha dans la poche de sa ceinture.
Dick se sentit défaillir, car l’objet en question était un gland de sa propre ceinture ; et il était certain pour lui que cet espion nabot, qui prenait un malin plaisir à sa besogne, ne perdrait pas de temps à le porter à son maître le baron. Il était presque tenté d’écarter les tentures, de tomber sur le scélérat et de reprendre au risque de sa vie l’objet dénonciateur. Et, tandis qu’il hésitait encore, s’ajouta une nouvelle cause d’inquiétude. Une voix rauque et avinée commença à se faire entendre de l’escalier, et peu après des pas inégaux, lourds et chancelants, résonnèrent le long du corridor.
– Que faites-vous là, joyeux compagnons, dans les bois verts ? chantait la voix. Que faites-vous là ? Hé les sots, que faites-vous là ? ajouta-t-elle avec un accès de rire d’ivrogne ; puis le chant reprit :
Si vous buvez le vin clair,
Gros Frère Jean, mon ami –
Si je mange et si vous buvez,
Qui chantera la messe, dites-moi
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