La Flèche noire
brusquement dans une chambre éclairée, comme tant d’autres par une souche flambant sur l’âtre.
– À présent, dit la jeune fille, en le forçant à s’asseoir sur un escabeau, mettez-vous là et obéissez à mon bon plaisir souverain. J’ai pouvoir de vie ou de mort sur vous, et je ne me ferai pas scrupule d’abuser de mon pouvoir. Attention à vous ; vous m’avez cruellement meurtri le bras. Il ne savait pas que j’étais une femme, dit-il ! S’il l’avait su, il aurait pris sa ceinture pour me battre, ma foi !
Et à ces mots elle sortit vivement de la chambre, laissant Dick bouche bée d’étonnement, et pas très sûr s’il rêvait ou était éveillé.
– Levé ma ceinture sur elle ! répéta-t-il. Levé ma ceinture sur elle ! Et le souvenir de cette nuit dans la forêt revint à son esprit, et il revit le corps frémissant et les yeux suppliants de Matcham.
Mais il fut bientôt rappelé au souvenir des dangers présents. Dans la chambre voisine, il entendit un bruit comme de quelqu’un qui marche ; puis suivit un soupir qui semblait étrangement proche, puis le froufrou d’une jupe et un bruit de pas se fit entendre de nouveau. Comme il s’était levé pour écouter, il vit la tenture s’agiter le long du mur ; il y eut le son d’une porte qu’on ouvrait, les portières se séparèrent, et, une lampe à la main, Joanna Sedley entra dans la pièce.
Elle était vêtue de riches étoffes de couleurs sombres et brillantes, comme il convient pour l’hiver et pour la neige. Sur sa tête, ses cheveux relevés la paraient comme une couronne. Et elle qui paraissait si petite et si gauche dans les vêtements de Matcham, était maintenant grande comme un jeune saule, et glissait à travers la pièce, comme si elle eût dédaigné la corvée de marcher.
Sans un tressaillement, sans un tremblement, elle leva la lampe et regarda le jeune moine.
– Que faites-vous ici, bon Frère ? demanda-t-elle. Vous vous êtes trompé sans doute. Qui demandez-vous ? Et elle posa sa lampe sur le tasseau.
– Joanna, dit Dick, et la voix lui manqua. Joanna, reprit-il, vous avez dit que vous m’aimiez et, fou que j’étais, je l’ai cru.
– Dick, s’écria-t-elle, Dick !
Et alors, à l’étonnement du jeune homme, cette belle et grande jeune dame ne fit qu’un saut, et jetant ses bras autour de son cou, lui donna une centaine de baisers en un seul.
– Oh ! le nigaud, s’écria-t-elle. Oh ! cher Dick ! Oh ! si vous pouviez vous voir ! Hélas ! ajouta-t-elle en s’arrêtant, j’ai gâté votre visage, Dick ! J’ai effacé un peu de peinture. Mais cela peut se réparer. Ce qui ne peut se réparer, Dick… j’ai bien peur que ce ne soit pas possible… c’est mon mariage avec lord Shoreby.
– C’est décidé alors ? demanda le jeune homme.
– Demain, avant midi, Dick, dans l’église de l’abbaye, répondit-elle. John Matcham et Joanna Sedley finiront tous deux misérablement. Les larmes n’y font rien ; sans quoi j’en pleurerais à perdre les yeux. Je n’ai pas épargné les prières, mais le ciel rejette ma pétition. Et Dick, mon bon Dick… si vous ne pouvez me tirer d’ici avant le matin il faut nous embrasser et nous dire adieu.
– Non, dit Dick, pas moi ; je ne dirai jamais ce mot. C’est du désespoir, et, tant qu’il y a vie, Joanna, il y a espoir. Je veux espérer encore. Oui, par la messe ! et triompher ! Voyez donc quand vous n’étiez pour moi qu’un nom, n’ai-je pas suivi… n’ai-je pas soulevé de braves gens… n’ai-je pas engagé ma vie dans la querelle ? Et à présent que j’ai vu ce que vous êtes… la plus belle et la plus noble fille d’Angleterre… pensez-vous que je changerai ?… Si la mer profonde était là, je la traverserais, si le chemin était plein de lions, je les disperserais comme des souris.
– Ah ! dit-elle sèchement, vous faites beaucoup d’histoires pour une robe bleu de ciel !
– Non, Joanna, protesta Dick, ce n’est pas seulement la robe. Mais, chère, vous étiez déguisée ; me voici déguisé ; et vraiment n’ai-je pas une drôle de figure… une vraie figure de bouffon.
– Oui, Dick, c’est vrai, répondit-elle en souriant.
– Eh bien ! répliqua-t-il triomphant. Il en était de même de vous, pauvre Matcham, dans la forêt. Par ma foi vous étiez une fille à faire rire. Mais maintenant !
Et ils bavardèrent
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