La Flèche noire
pour ma part, je serais vraiment bien bête de continuer à vivre dans une cave fangeuse, et à recevoir des décharges et, des coups comme un soldat. Nous voici quatre bons ! Allons donc dans la forêt demain, avant le lever du soleil. Si nous pouvions nous procurer honnêtement un âne, cela vaudrait mieux, mais si nous ne pouvons pas, nous avons quatre bons dos et je vous garantis que nous reviendrons en chancelant sous le poids.
Pirret se léchait les lèvres.
– Et cette magie, dit-il… ce mot de passe qui fait ouvrir la cave… quel est-il, ami ?
– Personne ne le sait que les trois chefs, répliqua Dick ; mais voyez votre grande bonne fortune, ce soir même j’étais porteur d’un charme pour l’ouvrir. C’est une chose qui ne sort pas deux fois par an de l’escarcelle du capitaine.
– Un charme ! dit Arblaster, s’éveillant à demi et louchant d’un œil sur Dick. Arrière ! pas de charmes ! Je suis un bon chrétien. Demandez plutôt à mon matelot Tom.
– Mais ce n’est que de la magie blanche, dit Dick. Cela n’a rien à faire avec le diable, c’est seulement la puissance des nombres, des herbes et des planètes.
– Oui, oui, dit Pirret, c’est seulement de la magie blanche, compère. Il n’y a pas là de péché, je vous l’assure. Mais continuez, brave homme. Ce charme… en quoi consiste-il ?
– Je vais vous le montrer immédiatement, répondit Dick. Avez-vous là la bague que vous avez prise à mon doigt ? Bien ! À présent tenez-la devant vous par l’extrémité des doigts à bras tendu à la lumière de ces tisons. C’est cela exactement. Voici le charme.
D’un regard égaré, Dick vit que le chemin était libre entre lui et la porte, il fit mentalement une prière. Alors, avançant vivement le bras, il arracha la bague, et, en même temps, souleva la table, et la renversa sur le matelot Tom. Celui-ci, le pauvre, tomba dessous, hurlant sous les ruines, et avant qu’Arblaster eût compris que quelque chose allait mal, ou que Pirret eût repris ses esprits éblouis, Dick avait couru à la porte et s’était échappé dans la nuit, au clair de lune.
La lune, qui était alors au milieu du ciel, et l’extrême blancheur de la neige, rendaient le terrain dégagé aux abords du port, aussi clair que le jour, et le jeune Shelton, sautant, sa robe aux genoux, parmi les décombres, était nettement visible, même de loin.
Tom et Pirret le suivirent en criant, de chaque cabaret ils furent rejoints par d’autres, que leurs cris attirèrent ; et bientôt, toute une flotte de marins furent à sa poursuite. Mais le matelot à terre était un mauvais coureur, déjà au XV e siècle, et Dick, de plus, avait une avance, qu’il augmenta rapidement, jusqu’à ce que, près de l’entrée d’une ruelle étroite, il s’arrêta pour regarder en riant derrière lui.
Sur le beau tapis de neige, tous les matelots de Shoreby venaient, essaim qui faisait tache d’encre, avec une queue en groupes isolés. Chacun criait ou braillait, chacun gesticulait, les deux bras en l’air ; quelqu’un tombait à chaque instant, et, pour achever le tableau, quand un tombait, une douzaine tombaient sur lui.
Cette masse confuse de bruit qui s’élevait jusqu’à la lune était moitié comique, moitié effrayante pour le fugitif qu’elle poursuivait. En soi, elle était impuissante, car il était sûr qu’aucun matelot du port ne pourrait l’atteindre. Mais le seul bruit, rien qu’en réveillant tous les dormeurs de Shoreby, et en amenant dans la rue toutes les sentinelles cachées, le menaçait réellement d’un danger en avant. Aussi, ayant aperçu une entrée de porte sombre à un tournant, il s’y jeta violemment, et laissa passer la cohue bizarre de ses poursuivants, qui criaient toujours et gesticulaient, tous rouges de hâte et blancs de leurs chutes dans la neige.
Cela dura longtemps, avant que cette grande invasion de la ville par le port fût terminée ; et longtemps encore, avant que le silence fût restauré. Longtemps on entendit des matelots perdus qui battaient la ville en criant dans toutes les directions et dans tous les quartiers. Il y eut des querelles quelquefois entre eux, quelquefois avec des patrouilles, les couteaux furent tirés, des coups donnés et reçus, et plus d’un cadavre resta sur la neige.
Quand, une grande heure plus tard, le dernier matelot retourna en grommelant vers le port et sa taverne favorite, on peut se
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