La Gloire Et Les Périls
suppression du culte protestant
et le bannissement des pasteurs rochelais.
— Et aurait-il persuadé Louis ?
— Non, Madame. Pas le moins du monde. Qu’ils fussent
protestants ou catholiques, le roi aimait ses sujets et désirait fort être aimé
d’eux. Quand le premier novembre 1628 il entra en vainqueur à La Rochelle, les
plus notables des Rochelais se mirent à genoux en criant
« Miséricorde ! » et « Vive le Roi ! » Le roi,
alors, leur ôta son chapeau empanaché, et gravement les salua. Ce salut,
Madame, lui conquit tous les cœurs. « Eh quoi ! dirent entre eux les Rochelais,
ce n’est pas ce qu’on nous avait dit : qu’il nous ferait tous mourir. Au
lieu de cela, il nous salue ! » La veille déjà, ils lui avaient su un
gré infini de les avoir si vite et si bien envitaillés, et qui plus est gratis
pro Deo, alors que seuls les bourgeois de La Rochelle avaient encore
quelques écus en leurs bourserons. Éprouvant Sa Majesté tout autre qu’ils
n’avaient craint, ils voyaient en lui un bon ange qui les avait tirés des dents
de la mort. Je vous en donnerai un exemple : le premier novembre, jour de
la Toussaint, il y eut une grande procession à travers les rues de La Rochelle,
et encore qu’il y eût là des étoles rutilantes, des cierges et des statues de
saints (pour un huguenot, si pernicieusement semblables aux idoles païennes),
tous les Rochelais se mirent aux fenêtres pour voir passer le roi, d’aucuns
ramentevant aux autres que l’avant-veille, lors de son entrée dans la ville,
non seulement il les avait salués, mais à les voir si maigres, il avait versé
des larmes.
— Cependant, Monsieur, Louis fit raser leurs remparts
rez pied rez terre, comme on disait alors.
— Qu’avait affaire de ces murailles le petit peuple de
La Rochelle ? Pendant un an, elles l’avaient étouffé sans laisser passer
le moindre vivre.
— Toutefois, Monsieur, Louis enleva ses franchises à la
ville, et les Rochelais d’ores en avant durent payer la taille.
— Mais qui la paya, Madame, sinon les bourgeois bien
garnis qui avaient vignes dans l’île de Ré et troupeaux en l’île
d’Oléron ?
— Et que fit, Monsieur, pendant ce temps la flotte anglaise,
témoin de ces affectueuses effusions entre royaux et huguenots ?
— Elle appareilla le vingt-quatre novembre, et par une
extraordinaire ironie du sort, qui même à Guiton rendrait obscures les voies de
la Providence, deux jours plus tard, le vingt-six novembre, s’éleva le
suroît – vent du sud-ouest, comme vous savez –, lequel forcit et
devint véloce jusqu’à soulever une tempête terrifiante qui brisa les
chandeliers de la digue et rompit la digue en trois endroits…
— Est-ce à dire, Monsieur, que si Lord Lindsey était
demeuré deux jours de plus, il eût pu envitailler La Rochelle ?
— Cela, je l’ai souvent ouï dire, mais, belle lectrice,
c’est une vue de terrien. La vérité marine est tout autre. La baie de La
Rochelle est très ouverte au suroît, et ce vent, quand il prend force, n’est
pas maniable. Il eût chassé les vaisseaux sur leurs ancres, ou brisé leurs
amarres, et la flotte anglaise eût été jetée à grand fracas, qui sur la flotte
française, qui sur les palissades, qui sur les tronçons de la digue.
— Qu’eût donc dû faire Lord Lindsey en pareil
prédicament ?
— Appareiller avant que le suroît devînt impétueux, et
sous voilure réduite, se mettre à l’abri de l’autre côté de l’île de Ré, dans
le pertuis breton. En aucun cas, il n’eût pu attaquer.
— Voilà donc, Monsieur, la flotte anglaise sur le
triste chemin du retour.
— Pendant lequel, belle lectrice, elle pâtit
tristement, étant attaquée elle aussi par une tempête, et perdant quatorze
vaisseaux et quatre cents hommes. L’Angleterre fut la grande perdante de cette
histoire.
— Et le roi de France le grand gagnant ?
— Oui-da ! Mais point tout seul. Chose
extraordinaire, le vainqueur royal et le vaincu rochelais se partagèrent la
gloire. L’armée royale jouit d’ores en avant d’une grande réputation
d’invincibilité. Mais le nom de La Rochelle retentit dans toute l’Europe comme
le symbole même de l’héroïsme et de la ténacité dans le malheur.
— Pourtant, Monsieur, la ville était exsangue, ayant
perdu les deux tiers de ses habitants.
— Voyez pourtant le paradoxe : on défendit à tout
huguenot qui n’était point né dans la ville
Weitere Kostenlose Bücher