La Gloire Et Les Périls
cruellement châtiée.
Il est constant que les Rochelais ne voulaient pas tous la
guerre. Y étaient opposés les magistrats par souci de l’ordre et des édits, les
bourgeois bien garnis, parce qu’ils ne voulaient rien changer à leur tranquille
vie, et les négociants, parce qu’ils craignaient pour les franchises accordées
à leur négoce et, surtout, les armateurs parce qu’ils redoutaient la perte de
leurs navires.
Cependant, les pasteurs, y compris le plus influent de tous,
le pasteur Salbert, penchaient pour le combat pour la raison que, possédant une
vérité absolue – comme, de reste, les catholiques du parti dévot –,
ils acceptaient la violence pour la faire triompher. Le petit peuple, influencé
par leurs prêches véhéments et aussi par la présence de la duchesse douairière
de Rohan dans leurs murs, inclinait, lui aussi, à donner la parole aux canons,
n’ayant de reste rien à perdre, hors la vie, que dans son intrépide foi il
tenait pour rien.
Quant aux Rohan – la duchesse douairière, le duc
régnant et le cadet (« l’infernal Soubise », comme disait
Richelieu) – ils caressaient le rêve de se tailler dans le royaume de
France une principauté indépendante qui, englobant La Rochelle, les îles et le
Languedoc, eût vécu sous leur sceptre.
Parce que la reine-mère et la reine régnante étaient
pro-espagnoles et ultramontaines et parce qu’en France le parti dévot,
renaissant tel un phénix des cendres de la soi-disant Sainte Ligue, désirait
sans trop oser le dire encore l’éradication de l’hérésie, les huguenots
redoutaient qu’une nouvelle persécution s’abattît sur eux derechef.
Ils oubliaient que le roi ne se laissait en aucune manière
gouverner par les reines ; qu’il était, quoique pieux, hostile au pouvoir
absolu que le pape revendiquait sur le temporel ; qu’il n’aimait rien
tant, dans les occasions, que rabattre l’arrogance ou l’avarice de ses
évêques ; qu’il n’avait pas hésité à combattre et à mettre à la fuite les
soldats pontificaux dans la Valteline ; et qu’enfin il avait, à maintes
reprises, affirmé qu’il ne toucherait jamais à la liberté de conscience et de
culte de ses sujets protestants.
Chose étrange, et qui montre bien l’indéchiffrable logique
des passions humaines, dans le même temps que les huguenots de La Rochelle se
rebellaient contre Louis, ils ne cessaient pas pour autant de l’aimer.
Barguignant avec les Anglais qui eussent voulu que leur aide à La Rochelle
comportât, pour eux, quelques avantages en bonnes terres françaises, ils
protestaient de ne vouloir faire « aucun préjudice à la fidélité et à la
sujétion qu’ils devaient au roi de France », lequel, d’ailleurs, ils
estimaient fort, le tenant pour « un prince excellent, dont les procédures
étaient empreintes d’une très rare sincérité ».
Mieux même, ayant ouï qu’un de leurs boulets, pendant le
siège de leur ville, était tombé à quatre pas de Louis et l’avait éclaboussé de
poussière, ils firent des prières publiques pour que le Seigneur, d’ores en
avant, le tînt en Sa Sainte Garde. En somme, ils le bombardaient, mais
n’eussent pas voulu qu’il mourût. Bien que rien d’extravagant ni d’illogique
puisse à l’ordinaire émouvoir les Anglais, ces oraisons pour la sauvegarde du
roi de France les laissèrent béants. Ils en conclurent, non sans chagrin, que
les Rochelais « avaient les fleurs de lys très avant empreintes dans le cœur ».
Les Anglais eurent d’autres raisons de se chagriner de cet
attachement séculaire. Le siège se prolongeant, la famine tuait tant de monde
qu’un Rochelais conçut l’idée de saillir à la dérobée des murailles et, passant
au travers des lignes ennemies, d’atteindre le petit bourg d’Aytré où Louis
avait son logis et, là, de lui donner dans le cœur de son couteau.
L’homme s’ouvrit de ce plan au maire Guiton, lequel, dès la
première heure, artisan encharné de la guerre, demeurait, malgré les pertes
effroyables que subissait sa ville, partisan résolu du combat à outrance contre
le pouvoir royal.
Guiton n’écouta pas pour autant avec faveur le projet
meurtrier du quidam. Consciencieux huguenot, il s’en tenait à la lettre du
Décalogue : Tuer était péché mortel. Et, quant à lui, il n’avait pas assez
de lumières pour décider, seul, s’il fallait en ce prédicament passer outre à
la Loi divine. Il requit donc,
Weitere Kostenlose Bücher