La grande Chasse
une autre. Me voici soldat. Au magasin d'habillement, on me remet un pantalon trop large, une veste trop étroite, des bottes trop lourdes et un casque ridiculement petit.
Comme je refuse le casque, le sous-officier se met en colère. Il me conseille de la fermer. Le casque, affirme-t-il, est parfait, c'est ma tête qui est trop grosse.
Je ne sais pas si elle est vraiment trop grosse, mais je sens qu'elle me tourne. Cette caserne est une fourmilière. L'allure normale est le pas de gymnastique. Dans les couloirs sonores, les pas des bottes cloutées martèlent un rythme toujours précipité. Tout le monde court, s'agite, s'affaire. Des uniformes, rien que des uniformes, encore des uniformes. J'ai, certes, des centaines de camarades, mais je me sens terriblement seul dans cet univers nouveau, laid et prosaïque !
Soir de Noël.
Au fond, la guerre devrait être terminée depuis longtemps. Le long du front, Alliés et Allemands observent une réserve qui ressemble à s'y tromper à une entente tacite.
C'est le premier Noël que je passe loin de la maison. Chez moi, à Hameln, les rues sont sûrement couvertes d'un beau tapis de neige. Ici, il pleut, du matin au soir. Au cours de ces dernières semaines, on nous a menés durement, très durement même. Nous n'avons jamais une minute de répit. Exercices dans la cour et sur le terrain de manoeuvre, tir au fusil et à la mitrailleuse, sport, cours théoriques, corvées, appels, revues de détail — on dirait qu'ils veulent nous crever, ces messieurs !
Pas plus qu'au lycée, je ne fais figure de sujet d'élite. Mon caporal déclare qu'il quittera l'armée si, jamais, je réussis à passer officier. Parfois, lorsque nous faisons les singes dans la cour, j'ai envie de lui casser la crosse de ma carabine sur le crâne.
Je suis éreinté, épuisé, vidé.
Demain soir, je serai de garde. Par conséquent, après-demain, je pourrai dormir une heure de plus. Ces soixante minutes de sommeil supplémentaire constitueront mon plus beau cadeau de Noël.
26 décembre 1939.
Les « bleus » sont consignés à la caserne. J'ai fait le mur, parce que, de l'autre côté, une fille réclamait son frère. Je l'ai aidée à le chercher. Bien entendu, nous ne l'avons pas trouvé : la nuit était déjà tombée. En revanche, nous nous sommes promenés pendant deux heures dans les bois.
Je l'ai embrassée, elle n'en paraissait pas trop fâchée. Dimanche prochain, elle reviendra, toujours dans l'espoir de voir son frère. Comme cela, j'aurai sans doute encore l'occasion de l'embrasser. D'après ce que j'ai pu deviner dans l'obscurité, elle n'est pas vilaine. J'aimerais quand même m'en rendre compte en plein jour.
Heureusement, le sous-off. de jour ne s'est pas aperçu de mon absence. Ma petite escapade aurait pu me rapporter trois jours de prison.
2
A L'ECOLE DE PILOTAGE
Fin janvier 1940.
Depuis trois semaines, je suis à l'Ecole de Guerre. Promus aspirants, nous n'avons cependant guère l'occasion de rire. Le dressage à la prussienne se poursuit avec la même rigueur. A présent, j'y suis habitué. « Vous devez devenir durs comme l'acier forgé par Krupp », répètent inlassablement nos instructeurs. Ceux qui mollissent seront impitoyablement renvoyés.
Notre existence se déroule entre la cour de la caserne et l'amphithéâtre. Dans les dortoirs, nous bûchons souvent jusqu'à minuit. Nos chefs de classe, officiers, sous-officiers et ingénieurs, s'efforcent de nous inculquer un maximum de connaissances tactique aérienne et terrestre, technique du vol, météorologie, mécanique. Quant aux leçons de pilotage, elles commenceront dès que le temps se mettra au beau.
17 février 1940.
A 13 heures précises, j'ai décollé pour mon premier vol, à bord d'un Focke-Wulf 44, biplan d'instruction à double commande. Mon professeur est le sous-officier van Dieken, un vétéran qui a déjà formé des dizaines de pilotes.
23 février 1940.
Au cours de la semaine passée, j'ai accompli trente-cinq vols. Comme le terrain est couvert d'une bonne couche de neige, les appareils ont été équipés de glisseurs, larges skis qui remplacent les roues du train d'atterrissage.
Mon trente-sixième décollage est supervisé par notre chef de groupe, le lieutenant Woll. Le soir, il m'apprend que ma performance ne l'a guère impressionné.
3 avril 1940.
J'ai maintenant quatre-vingt-trois vols d'instruction à mon actif. Les deux dernières fois, le lieutenant Woll a surveillé mes
Weitere Kostenlose Bücher