La grande Chasse
prouesses.
— Ce ne sont pas des atterrissages, déclare-t-il en secouant la tête. Tout au plus des chutes vaguement dirigées !
L'après-midi, comme je tourne au-dessus du terrain, j'aperçois encore une silhouette qui suit mes évolutions à la jumelle. Enervé, je m'embrouille dans les manœuvres des palonniers et du manche, je confonds les trois dimensions de l'espace... et voilà l'appareil qui, dérapant sur l'aile gauche, vibrant et sifflant, se met en piqué pour foncer droit sur un clocher.
Au dernier moment, van Dieken réduit les gaz et rattrape le taxi affolé. Puis, il se retourne vers moi. Je rentre la tête dans les épaules.
— Nom de nom ! hurle-t-il. Vous voulez que ma femme se mette en deuil ?
Et comme je me garde bien de répondre, il ajoute, d'un ton écrasant de mépris : — Espèce de crétin !
A l'appel du soir, le lieutenant m'annonce qu'il va m'offrir une dernière chance. Je ferai bien de m'appliquer : les élèves recalés de l'Ecole de Guerre seront affectés à la D.C.A.
Pourvu que le destin m'épargne cette suprême humiliation !
15 avril 1940.
Je viens de faire mes dix derniers décollages, toujours avec van Dieken. Tous les autres élèves ont depuis longtemps le droit de voler seul. Demain, le lieutenant me fera subir l'examen définitif.
Mon groupe d'instruction comprend, en plus de moi, les aspirants Geiger, Menapace et Hain. Nous habitons à quatre la même carrée.
Geiger, Poméranien ambitieux et renfermé, est le troisième fils d'un simple ouvrier. Grâce à une bourse, ce garçon extrêmement intelligent a pu passer son bachot et choisir la carrière d'officier.
Menapace et Hain sont Autrichiens, tous les deux originaires du Tyrol. Sepp Menapace, petit, noiraud, d'une timidité touchante, est de loin le meilleur pilote de nous tous. Il doit posséder une sorte de sixième sens, acquis sans doute dans les montagnes de son pays natal, et qui lui permet d'évoluer dans les airs avec une sûreté stupéfiante. Autant les mouvements de son corps musclé paraissent maladroits et lourds sur le plancher des vaches, autant ils sont souples dans l'espace aérien. En quelques semaines, il est parvenu à une maîtrise parfaite de son appareil. Hain, lui aussi, a depuis sa quarantième leçon le droit de voler seul.
Mes trois camarades ont assisté à mes derniers atterrissages, Ils me redonnent un peu de courage.
— Tu verras, ça ira très bien, déclare Geiger, d'un ton sans réplique.
Le lendemain, à 14 heures, je m'apprête à voler seul — pour la première fois. Le moteur tourne déjà. Le lieutenant se penche vers mon oreille.
— A votre place, j'essaierais de rattraper le taxi deux mètres au-dessus du sol, et non un mètre en dessous , me crie-t-il.
Je boucle la ceinture, ouvre l'admission des gaz, pèse sur le manche, L'appareil se met à rouler. Presque aussitôt, les roues quittent le sol. Si cela continue, je passerai l'examen dans un fauteuil.
Aux extrémités des plans, des chiffons rouges annoncent : Attention ! — voici un novice, lâché seul dans la nature, Si vous tenez à votre peau, restez à distance respectueuse !
Durant plusieurs minutes, je tourne au-dessus du terrain. Peu à peu, je me libère de la hantise des manœuvres à accomplir. Bientôt, je m'enhardis jusqu'à couler un regard prudent vers la terre qui défile sous mes ailes. L'ombre difforme d'un nuage glisse lentement sur la piste. Je pourrais crier de joie. La vie est belle, puisque je vole — que je vole seul, librement, comme la mouette, la grue, l'aigle !
Et maintenant, l'atterrissage.
J'amorce ma prise de terrain. Le sol monte vers moi, terriblement vite. Je coupe les gaz, rattrape l'appareil — un choc — me voici de nouveau sur la terre ferme, Et, miracle des miracles, le train a résisté !
Evidemment, il n'est pas très beau, cet atterrissage. Les quatre suivants ne le sont pas davantage Mais le train résiste toujours. Après tout, c'est l'essentiel !
10 mai 1940.
Nos troupes, partant des positions de la ligne Siegfried, ont franchi la frontière française.
Je crains de ne plus avoir l'occasion de participer aux combats.
16 mai 1940.
Grâce au temps favorable, notre instruction a fait, au cours de ces dernières semaines, des progrès considérables. Pour ma part, j'ai accompli près de deux cent cinquante vols. En ce moment, nous apprenons surtout les figures de base de l'acrobatie aérienne. En outre, nous nous entraînons avec de vieux
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