La grande Chasse
cri. La rotule gauche et l'articulation de la hanche droite sont écrasées... Rampant sur le dos, m'arc-boutant sur les coudes, je réussis à remonter sur la route. Deux heures plus tard, une unité S.S. me trouve, évanoui.
(J'apprendrai, plus tard, que plusieurs voitures ont eu des accidents semblables. Probablement, il s'agit d'un sabotage des Tchèques).
A l'hôpital militaire de Prague, les chirurgiens veulent à tout prix m'amputer de la jambe gauche. Déjà, la peau a pris une teinte suspecte. Mais je refuse, obstinément, désespérément.
Pour rien au monde, je ne veux passer le reste de ma vie comme un mutilé, un de ces malheureux sur lesquels s'apitoie tout le monde.
Les médecins mettent deux heures et demie pour rafistoler ma rotule. Les deux jambes dans le plâtre, je me retrouve dans une chambre calculée pour quatre personnes, et dans laquelle s'entassent maintenant dix blessés graves.
Une infirmière m'apporte ma serviette. Je débouche ma dernière bouteille de cognac et, en quelques minutes, la vide jusqu'à la dernière goutte.
Cette nuit, je n'aurai pas de douleurs !
7 décembre 1944.
Hier, on m'a enlevé le plâtre. Mes jambes ont terriblement maigri. Le genou droit est encore raide. Je suis si faible que je peux à peine m'asseoir dans mon lit.
8 décembre 1944.
Les premiers pas, appuyé sur deux béquilles. J'arrive à parcourir la longueur de ma chambre. Demain, je ferai une promenade dans le couloir.
J'apprendrai de nouveau à marcher, comme un bébé. Mais je marcherai !
10 décembre 1944.
A présent, je peux sortir, en compagnie d'une infirmière. Hier soir, je suis allé au théâtre. Pour un trajet qu'un homme normal parcourt en dix minutes, j'ai mis plus d'une heure. Mes mains sont couvertes d'ampoules, provoquées par les béquilles. Cela n'a aucune importance. Seuls comptent mes progrès.
19 décembre 1944.
J'ai passé une semaine dans une station thermale autrichienne, dont les eaux radio-actives m'ont fait beaucoup de bien. Le genou gauche retrouve lentement sa souplesse. En revanche, la jambe droite reste encore un poids mort. Rétrécie de six centimètres, elle se balance inutilement dans l'articulation détruite de la hanche.
Lilo a obtenu mon transfert dans l'hôpital de Sanderbusch, à quelques kilomètres de lever. A la lisière de la ville, elle a loué un appartement, dans une villa adorable. C'est là qu'elle m'attend maintenant, avec nos deux enfants. Nous ne nous quitterons plus, — plus jamais.
21 décembre 1944.
Une pauvre épave, marchant à l'aide de deux béquilles, j'ai entamé le voyage qui doit me conduire à la maison. La guerre continue. Pour moi, pour l'estropié que je suis, elle est bel et bien finie.
A Salzbourg, les bombes pleuvent sur la gare. Notre train s'arrête dans une station de banlieue. Deux camions nous conduisent à une halte située de l'autre côté de la ville. Nous sommes une vingtaine d'éclopés qui se déplacent difficilement.
A Rosenheim où nous attendons la correspondance pour Munich, il fait un froid sibérien. A minuit, l'aviation alliée attaque la gare. Des milliers de voyageurs, frappés de panique, courent vers les abris. Nous, les blessés, incapables de courir, restons couchés entre les rails. Aplatis contre le sol, nous nous demandons comment nous sommes encore en vie. Les bombardiers repartis, nous nous serrons l'un contre l'autre, pour partager les dernières réserves de chaleur humaine.
A Munich, la gare de l'est est en flammes. L'Allemagne brûle, partout à la fois.
Pour atteindre Augsbourg, normalement un trajet de cinquante minutes, le train mettra exactement sept heures.
A Augsbourg, on me transporte dans une baraque la Croix-Rouge, tout à côté de la gare. Je n'en peux plus, je suis à bout, je veux dormir, dormir, dormir...
A midi, des forteresses volantes attaquent le centre de la ville. Les infirmières veulent me porter dans un abri, mais je les mets à la porte. Qu'on me fiche la paix ! Je veux dormir, nom d'un chien !
Le soir, un train de permissionnaires part pour Hanovre et, miracle des miracles, atteint sa destination avec seulement deux heures de retard.
23 décembre 1944.
J'ai trop présumé de mes forces. Ce voyage va m'achever. Parfois, les voyageurs viennent à mon secours. Attention d'autant plus méritoire qu'en ce moment, tout le monde a son propre fardeau de soucis.
A minuit, un train omnibus me dépose enfin à Jever. Une voiture militaire me conduit, —
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