La grande Chasse
carré de la carte correspond à la région de Tergnier, au nord de Soissons. C'est un nœud ferroviaire important. En outre, c'est à Tergnier que le canal de la Somme se relie à l'Oise.
Au-dessus de ces objectifs vitaux, la 3e escadre du Premier Groupe de chasse va livrer son dernier combat dans le ciel français. Combat de désespoir, contre au moins soixante Mustang et Thunderbolt.
Au bout de quelques minutes, nous avons trois appareils sur cinq. A présent, je suis seul avec mon coéquipier, le sous-officier Ickes.
C'est l'hallali ! Nous encaissons de tous les côtés à la fois. Ickes, stoïque, accompagne toutes mes manœuvres. Mon zinc, fatigué, ralentit sensiblement. Rien à faire pour semer le Mustang qui s'est collé dans mon sillage. D'un dernier effort, je cabre, dans un virage ascendant qui surprend l'adversaire. Emporté par son élan, il passe sous moi et, tout seul, vient se placer dans mon viseur. A mon tour de tirer !
Ma première rafale incendie son empennage. Puis, son moteur s'embrase, et une violente abattée le projette juste dans ma trajectoire. Allons-nous descendre tous les deux, mêlés dans un brasier commun ?
Une secousse terrible ébranle mon zinc, arrache l'aile droite qui s'envole dans l'espace. En une fraction de seconde, je repousse le hublot et me hisse dehors. Une énorme flamme jaune me manque de quelques centimètres.
Je me retrouve debout en l'air, suspendu à mon parachute. En bas, dans un champ, le Mustang et le Messerschmitt ne forment qu'un seul amas de feu.
Au-dessus de moi, les pilotes américains poursuivent leur ronde vertigineuse. Ils n'ont pas encore compris que les derniers Messerschmitt ont disparu du ciel.
Je touche terre dans une petite clairière. Mais j'ignore si je me trouve en deçà ou au-delà de nos lignes. Après avoir grillé une cigarette pour calmer les battements affolés de mon cœur, j'enlève mes épaulettes et fourre la Croix de Fer dans ma poche. Avec ma veste de cuir américaine, mon pantalon fané et ma chemise de soie bleue, je ne ressemble guère à l'image traditionnelle de l'officier allemand.
Que j'ai bien fait !
Un quart d'heure plus tard, je vois surgir, de l'autre côté de la clairière, quatre civils français. Ils discutent avec véhémence. Mes connaissances de français sont suffisantes pour comprendre qu'ils sont à ma recherche. Tous les quatre sont armés. Des maquisards !
Je glisse la main sous la veste où j'ai caché mon revolver. Comme les quatre gaillards commencent à fouiller les buissons, je préfère ne pas jouer à cache-cache. Ils trouveraient ce jeu peut-être un tantinet déplacé.
Je me dresse et, calmement, vais à leur rencontre.
Ils me regardent avec une surprise mêlée d'inquiétude. Quatre armes à feu sont braquées sur moi.
A présent, jouons convenablement notre rôle. S'ils comprennent qu'ils ont affaire à un Allemand, ils sont capables de m'abattre. C'est même sûr, — aussi sûr que deux fois deux font quatre.
A cinq pas, je m'immobilise et leur lance, d'un ton jovial :
— Hello, boys ! Puis, m'efforçant de prendre un accent plus ou moins américain, je poursuis : « Vous, vouloir aider moi trouver camarades ? »
Visiblement, la glace est rompue. Mes « sauveteurs » m'expliquent qu'une unité blindée américaine se trouve à seulement deux kilomètres. Cependant, il faut ouvrir l'œil. Il y a encore des Boches dans le coin.
Le plus grand du quatuor, un bonhomme assez inquiétant, porte sous le bras une mitraillette allemande. Il est plus taciturne que ses amis. Aurait-il flairé quelque chose ?
A travers un bois touffu, nous arrivons à un talus de chemin de fer. Juste à ce moment, éclate, sur notre gauche, la pétarade hargneuse d'une mitrailleuse allemande. Aussitôt, les trois Français qui me précèdent se jettent à plat ventre. Le gaillard à la mitraillette reste debout à côté de moi. Je lui demande où va cette ligne.
— A Amiens.
Zut ! Je suis bien loin des positions allemandes. Il y a au moins trois jours que les Ricains sont entrés à Amiens.
La mitrailleuse se tait. Prudemment, nous traversons le talus. Un peu plus loin, nous arrivons au bord d'une belle route. Le grand escogriffe ne me quitte pas d'une semelle. En quelques bonds, ses amis traversent l'espace découvert. Mon bonhomme me fait signe de les suivre et, sans m'attendre, bondit à son tour. Tout à coup, il s'arrête et se retourne. Nos regards se rencontrent. Cette fois, il a
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