La grande Chasse
rejeté à gauche, tantôt ballotté à droite, enfoncé dans mon siège ou encore suspendu la tête en bas à en avoir la nausée.
Mon Dieu ! qu'elles sont longues ces minutes.
Entre-temps, les Focke-Wulf ont fait du bon travail. Je n'ai guère le temps de regarder autour de moi, mais j'ai quand même vu une trentaine de forteresses descendre en flammes. Une goutte dans la mer ! Imperturbables, des centaines d'autres poursuivent leur route vers l'est.
Les Berlinois auront chaud, tout à l'heure !
Le voyant rouge de la jauge d'essence vient de s'allumer. Dans dix minutes mon réservoir sera vide.
Brutalement, je bascule et pique vers le sol. Les Thunderbolt m'abandonnent à mon sort.
A mille mètres, juste au-dessus des nuages, je redresse lentement. D'après mes estimations, je dois me trouver quelque part entre Brunswick et Hildesheim.
Tout à coup, mon chef de section vire et se précipite dans les nuages.
Intrigué, je me retourne. Seigneur ! Un Thunderbolt me suit à quelques mètres, suivi de sept autres qui attendent probablement l'occasion d'intervenir. Avec un fracas épouvantable, leurs bordées pénètrent dans mon pauvre moulin. Le plan droit prend aussitôt feu.
D'une abattée sur la gauche, je me réfugie dans les nuages. Soudain, je distingue la silhouette d'un Lightning. Je lui file au passage une rafale qui incendie son empennage.
Et voilà la terre ! Je largue le hublot pour sauter tant que j'ai encore une altitude suffisante. Juste comme je veux me hisser, une grêle de balles entre dans mon fuselage, comme dans du beurre. Encore un Thunderbolt qui me suit à une trentaine de mètres. J'entends nettement le vacarme de ses mitrailleuses.
Bon sang de bon sang ! Si je saute maintenant, l'hélice du Ricain me transformera en chair à saucisse. Je me recroqueville donc dans mon siège dont la plaque dorsale encaisse stoïquement les pruneaux. Mon fuselage et mes plans écopent terriblement. A côté de mon pied droit, par un trou aux bords déchiquetés, apparaît une flamme qui lèche ma botte.
Boum ! Un coup direct émiette mon tableau de bord. Une balle ricoche et me frappe à la tête.
Rien à faire ! C'est la fin !
Le moteur coupe. Aussitôt, ma vitesse diminue. Mon adversaire passe au-dessus de moi. L'espace de quelques secondes, il s'encadre dans mon viseur. Je déclenche mes armes. Je tremble de la tête aux pieds, je sens que mes nerfs vont lâcher d'un instant à l'autre... Tant pis ! Si je suis fichu, l'autre fera le grand saut avec moi.
Le Thunderbolt cabre désespérément. Trop tard ! Il est en feu. Son hublot se détache, un corps se hisse...
La terre monte vers moi, droit comme un mur. Je traverse en rase-mottes quelques champs, puis, une prairie sur laquelle je colle le ventre de l'appareil, d'une poussée brusque sur le manche. Un jet de flammes m'atteint au visage, des mottes de terre jaillissent devant moi, — une secousse effroyable, l'appareil glisse, patine, s'arrête dans un sillon. Je veux lever les mains pour protéger mes yeux... un coup terrible s'abat sur mon crâne... je perds connaissance.
Je ne sais absolument pas comment je suis sorti du brasier. Des douleurs atroces dans la tête m'interdisent toute pensée suivie, ne laissant subsister que les réflexes les plus élémentaires. Je titube, trébuche, tombe, me relève, uniquement anxieux de m'éloigner de cette épave qui va exploser. Déjà, quelques obus sautent, les éclats passent près de mes oreilles.
Une énorme colonne de fumée, droite dans le ciel, monte des débris de mon appareil. Quelques centaines de mètres plus loin, un second avion est en train de se consumer. Ça doit être l'Américain !
Ma tête, ma pauvre tête ! Je tombe à genoux, enserrant des deux mains mes tempes derrière lesquelles cogne un marteau frénétique. Puis, je me mets à vomir, à me vider, jusqu'au moment où il ne me reste plus dans la bouche que l'écœurante amertume de la bile.
Quand je reprends connaissance, une espèce d'armoire à glace se tient devant moi et me fixe d'un regard vitreux. Mon Américain, sans doute. Au bout d'un moment, il s'asseoit par terre, à côté de moi.
Il m'offre une cigarette. Je l'accepte et, en échange, lui tend mon propre étui. Il se sert, me donne du feu et grimace un sourire.
— C'est vous le pilote du Messerschmitt ?
— Ouais !
— Blessé ?
— Je crois.
— En tout cas, vous saignez à la tête.
Il a raison. Je me rends compte, à
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