La Guerre Du Feu
péripéties de cette poursuite exigeaient de nombreux détours, le fils du Léopard fut contraint d’obliquer considérablement vers l’orient, si bien que, le huitième jour, il aperçut le Grand Fleuve. C’était au sommet d’une colline conique, coulée de porphyre où les inondations, les pluies, les végétaux avaient rongé des bords, creusé des pertuis, arraché des blocs, mais qui, pendant des centaines de millénaires, résisteraient à la patience sournoise et aux coups brutaux des météores.
Le fleuve roulait dans sa force. À travers mille pays de pierres, d’herbes et d’arbres, il avait bu les sources, englouti les ruisseaux, dévoré les rivières. Les glaciers s’accumulaient pour lui dans les plis chagrins de la montagne, les sources filtraient aux cavernes, les torrents pourchassaient les granits, les grès ou les calcaires, les nuages dégorgeaient leurs éponges immenses et légères, les nappes se hâtaient sur leurs lits d’argile. Frais, écumeux et vite, lorsqu’il était dompté par les rives, il s’élargissait en lacs sur les terres plates, ou distillait des marécages ; il fourchait autour des îles ; il rugissait en cataractes et sanglotait en rapides. Plein de vie, il fécondait la vie intarissable. Des régions tièdes aux régions fraîches, des alluvions nourries de forces myriadaires aux sols pauvres, surgissaient les peuples lourds de l’arbre : les hordes de figuiers, d’oliviers, de pins, de térébinthes, d’yeuses ; les tribus de sycomores, de platanes, de châtaigniers, d’érables, de hêtres et de chênes ; les troupeaux de noyers, d’abiès, de frênes, de bouleaux ; les files de peupliers blancs, de peupliers noirs, de peupliers grisaille, de peupliers argentés, de peupliers trembles et les clans d’aulnes, de saules blancs, de saules pourpres, de saules glauques et de saules pleureurs.
Dans sa profondeur s’agitait la multitude muette des mollusques, tapis dans leurs demeures de chaux et de nacre, des crustacés aux armures articulées, des poissons de course, qu’une flexion lance à travers l’eau pesante, aussi vite que la frégate sur les nues, des poissons flasques qui barbotent lentement dans la fange, des reptiles souples comme les roseaux ou opaques, rugueux et denses. Selon les saisons, les hasards de la tempête, des cataclysmes ou de la guerre, s’abattaient les masses triangulaires des grues, les troupes grasses des oies, les compagnies de canards verts, de sarcelles, de macreuses, de pluviers et de hérons, les peuplades d’hirondelles, de mouettes et de chevaliers ; les outardes, les cigognes, les cygnes, les flandrins, les courlis, les râles, les martins-pêcheurs et la foule inépuisable des passereaux. Vautours, corbeaux et corneilles s’éjouissaient aux charognes abondantes ; les aigles veillaient à la corne des nuages ; les faucons planaient sur leurs ailes tranchantes ; les éperviers ou les crécerelles filaient au-dessus des hautes cimes ; les milans surgissaient, furtifs, imprévus et lâches, et le grand duc, la chevêche, l’effraie trouaient les ténèbres sur leurs ailes de silence.
Cependant, on distinguait quelque hippopotame oscillant comme un tronc d’érable, des martres se glissant sournoisement parmi les oseraies, des rats d’eau à crâne de lapin, tandis qu’accouraient les bandes peureuses des élaphes, des daims, des chevreuils, des mégacéros, les troupes légères des saïgas, des égagres, des hémiones et des chevaux, les armées épaisses des mammouths, des urus, des aurochs. Un rhinocéros plongeait sa cuirasse opaque dans un havre ; un sanglier malmenait les vieux saules ; l’ours des cavernes, pacifique et formidable, roulait sa masse obscure ; le lynx, la panthère, le léopard, l’ours gris, le tigre, le lion jaune et le lion noir s’embûchaient affamés ou happaient la proie chaude ; leur puanteur dénonçait le renard, le chacal et l’hyène ; les bandes de loups et de chiens déployaient contre les bêtes faibles, blessées ou recrues de fatigue, leur cautèle et leur patience. Partout pullulait une population menue de lièvres, de lapins, de mulots, de campagnols, de belettes et de loirs.... de crapauds, de grenouilles, de lézards, de vipères et de couleuvres..., de vers, de larves, de chenilles..., de sauterelles, de fourmis, de carabes..., de charançons, de libellules et de némocères..., de bourdons et de guêpes, d’abeilles, de frelons et de mouches...,
Weitere Kostenlose Bücher