La Guerre Du Feu
s’arrêtait par intervalles, il dressait l’oreille, ses narines interrogeaient l’air humide qui retombait sur la plaine à mesure que s’élevaient les vapeurs surchauffées. D’une stature égale à celle de Naoh, il portait un crâne énorme, aux oreilles de loup, pointues et rétractiles ; les cheveux et la barbe poussaient en touffes, séparés par des îlots de peau safran ; on voyait ses yeux phosphorer dans la pénombre ou s’ensanglanter aux reflets de la flamme ; il avait des pectoraux dressés en cônes, le ventre plat, la cuisse triangulaire, le tibia en tranchant de hache et des pieds qui eussent été petits sans la longueur des orteils. Tout le corps, lourd et jointé comme le corps des buffles, décelait une force immense, mais moins d’aptitude à la course que le corps des Oulhamr.
Le veilleur avait interrompu sa marche. Il avançait sa tête vers la colline. Sans doute, quelque vague émanation l’inquiétait, où il ne reconnaissait ni l’odeur des bêtes ni celle des gens de sa horde, tandis que l’autre veilleur, doué d’une narine moins subtile, somnolait.
– Nous sommes trop près des Dévoreurs d’Hommes ! remarqua doucement Gaw. Le vent leur porte notre trace.
Naoh secoua la tête, car il craignait bien plus l’odorat de l’ennemi que sa vue ou que son ouïe.
– Il faut tourner le vent ! ajouta Nam.
– Le vent suit la route des Dévoreurs d’Hommes, répondit Naoh. Si nous le tournons, c’est eux qui marcheront derrière nous.
Il n’avait pas besoin d’expliquer sa pensée : Nam et Gaw connaissaient, aussi bien que les fauves, la nécessité de suivre et non de précéder la proie, à moins de dresser une embuscade.
Cependant, le veilleur adressa la parole à son compagnon, qui fit un signe négatif. Il parut qu’il allait s’asseoir à son tour, mais il se ravisa, il marcha dans la direction de la colline.
– Il faut reculer, dit Naoh.
Il chercha du regard un abri qui pût atténuer les émanations. Un épais buisson croissait près de la cime : les Oulhamr s’y tapirent et, comme la brise était légère, elle s’y rompait, elle emportait un effluve trop faible pour frapper l’odorat humain. Bientôt le veilleur s’arrêta dans sa marche ; après quelques aspirations vigoureuses, il retourna au campement.
Les Oulhamr demeurèrent longtemps immobiles. Le fils du Léopard songeait à des stratagèmes, les yeux tournés vers la lueur assombrie du brasier. Mais il ne découvrait rien. Car si le moindre obstacle déçoit une vue perçante, si l’on peut marcher assez doucement sur la steppe pour tromper l’antilope ou l’hémione, l’émanation se répand au passage et se conserve sur la piste : seuls l’éloignement et le vent contraire la dérobent...
Le glapissement d’un chacal fit lever la tête au grand Nomade. Il l’écouta d’abord en silence, puis il fit entendre un rire léger.
– Nous voici dans le pays des chacals, dit-il. Nam et Gaw essaieront d’en abattre un.
Les compagnons tournaient vers lui des visages étonnés. Il reprit :
– Naoh veillera dans ce buisson... Le chacal est aussi rusé que le loup : jamais l’homme ne pourrait l’approcher. Mais il a toujours faim. Nam et Gaw poseront un morceau de chair et attendront à peu de distance. Le chacal viendra ; il s’approchera et il s’éloignera. Puis il s’approchera et s’éloignera encore. Puis il tournera autour de vous et de la chair. Si vous ne bougez pas, si votre tête et vos mains sont comme de la pierre, après longtemps il se jettera sur la chair. Il viendra et sera déjà reparti. Votre sagaie doit être plus agile que lui.
Nam et Gaw partirent à la recherche des chacals. Ils ne sont pas difficiles à suivre ; leur voix les dénonce : ils savent qu’aucun animal ne les recherche pour en faire sa proie. Les deux Oulhamr les rencontrèrent près d’un massif de térébinthes. Il y en avait quatre, acharnés sur des ossements dont ils avaient rongé toute la fibre. Ils ne s’enfuirent pas devant les hommes ; ils dardaient sur eux des prunelles vigilantes ; ils glapirent doucement, prêts à détaler dès qu’ils jugeraient les survenants trop proches.
Nam et Gaw firent comme avait dit Naoh. Ils mirent sur le sol un quartier de biche, et, s’étant éloignés, ils demeurèrent aussi immobiles que le tronc des térébinthes. Les chacals rôdaient à pas menus sur l’herbe. Leur crainte faiblissait au fumet de la chair.
Weitere Kostenlose Bücher