La Guerre Du Feu
pas comme Aoûm ? demanda Gaw.
– Aoûm comprenait les mammouths, objecta Naoh ; nous ne les comprenons pas.
Pourtant, cette question l’avait frappé ; il y rêvait, tout en tournant, à distance, autour du troupeau gigantesque. Et, sa pensée se traduisant tout haut, il reprit :
– Les mammouths n’ont pas une parole comme les hommes. Ils se comprennent entre eux. Ils connaissent le cri des chefs ; Goûn dit qu’ils prennent, au commandement, la place qu’on leur indique, et qu’ils tiennent conseil avant de partir pour une terre nouvelle... Si nous devinions leurs signes, nous ferions alliance avec eux.
Il vit un mammouth énorme qui les regardait passer. Solitaire, en contrebas de la rive, parmi de jeunes peupliers, il paissait les pousses tendres. Naoh n’en avait jamais rencontré d’aussi considérable. Sa stature s’élevait à douze coudées. Une crinière épaisse comme celle des lions croissait sur sa nuque ; sa trompe velue semblait un être distinct, qui tenait de l’arbre et du serpent.
La vue des trois hommes parut l’intéresser, car on ne pouvait supposer qu’elle l’inquiétât. Et Naoh criait :
– Les mammouths sont forts ! Le grand mammouth est plus fort que tous les autres : il écraserait le tigre et le lion comme des vers, il renverserait dix aurochs d’un choc de sa poitrine... Naoh, Nam et Gaw sont les amis du grand mammouth !
Le mammouth dressait ses oreilles membraneuses ; il écouta les sons articulés par la bête verticale, secoua lentement sa trompe et barrit.
– Le mammouth a compris ! s’écria Naoh avec joie. Il sait que les Oulhamr reconnaissent sa puissance.
Il cria encore :
– Si les fils du Léopard, du Saïga et du Peuplier retrouvent le Feu, ils cuiront la châtaigne et le gland pour en faire don au grand mammouth !
Comme il parlait, sa vue rencontra une mare, où poussaient des nénuphars orientaux. Naoh n’ignorait pas que le mammouth aimait leurs tiges souterraines. Il fit signe à ses compagnons ; ils se mirent à arracher les longues plantes roussies. Quand ils en eurent un grand tas, ils les lavèrent avec soin et les portèrent vers la bête colossale. Arrivé à cinquante coudées, Naoh reprit la parole :
– Voici ! Nous avons arraché ces plantes pour que tu puisses en faire ta pâture. Ainsi, tu sauras que les Oulhamr sont les amis du mammouth.
Et il se retira.
Curieux, le géant s’approcha des racines. Il les connaissait bien ; elles étaient à son goût.
Tandis qu’il mangeait, sans hâte, avec de longues pauses, il observait les trois hommes. Quelquefois il redressait sa trompe pour flairer, puis il la balançait d’un air pacifique.
Alors Naoh se rapprocha par des mouvements insensibles : il se trouva devant ces pieds colosses, sous cette trompe qui déracinait les arbres, sous ces défenses aussi longues que le corps d’un urus ; il était comme un mulot devant une panthère. D’un seul geste, la bête pouvait le réduire en miettes. Mais, tout vibrant de la foi qui crée, il tressaillit d’espérance et d’inspiration... La trompe le frôla, elle passa sur son corps, en le flairant ; Naoh, sans souffle, toucha à son tour la trompe velue. Ensuite il arracha des herbes et de jeunes pousses, qu’il offrit en signe d’alliance : il savait qu’il faisait quelque chose de profond et d’extraordinaire, son cœur s’enflait d’enthousiasme.
4
L’alliance entre l’homme et le mammouth
Or Nam et Gaw avaient vu le mammouth venir auprès de leur chef : ils conçurent mieux la petitesse de l’homme ; puis, quand la trompe énorme se posa sur Naoh, ils murmurèrent :
– Voilà ! Naoh va être écrasé, Nam et Gaw seront seuls devant les Kzamms, les bêtes et les eaux.
Ensuite, ils virent la main de Naoh effleurer la bête ; leur âme s’emplit de joie et d’orgueil.
– Naoh a fait alliance avec le mammouth ! murmura Nam. Naoh est le plus puissant des hommes.
Cependant, le fils du Léopard criait :
– Que Nam et Gaw approchent à leur tour, de la manière que Naoh s’est approché... Ils arracheront de l’herbe et des pousses, et les offriront au mammouth.
Ils l’écoutaient, la poitrine chaude, pleins de foi ; ils s’avancèrent avec la lenteur dont le chef avait donné l’exemple, arrachant à leur passage tantôt de l’herbe tendre, tantôt de jeunes racines.
Quand ils furent proches, ils tendirent leur récolte. Comme Naoh la tendait en même temps
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