La Guerre Du Feu
qu’eux, le mammouth vint la dévorer. Ainsi se noua l’alliance des Oulhamr avec le mammouth.
La lune nouvelle avait grandi ; elle approchait de la nuit où elle se lèverait aussi vaste que le soleil. Or, un soir des temps, les Kzamms et les Oulhamr campaient à vingt mille coudées les uns des autres. C’était encore le long du fleuve. Les Kzamms occupaient une bande sèche du territoire ; ils se chauffaient devant le Feu rugissant et mangeaient de lourds quartiers de viande, car la chasse avait été abondante, tandis que les Oulhamr se partageaient en silence, dans l’ombre humide et froide, quelques racines et la chair d’un ramier.
À dix mille coudées de la rive, les mammouths dormaient parmi les sycomores. Ils supportaient, pendant le jour, la présence des Nomades ; la nuit, ils montraient une humeur plus ombrageuse, soit qu’ils connussent ses embûches, soit qu’ils fussent gênés dans leur repos par une autre présence que celle de leur race. Chaque soir les Oulhamr s’éloignaient donc, au-delà du terme où leur émanation pouvait être importune.
Or, cette fois, Naoh demanda à ses compagnons :
– Nam et Gaw sont-ils prêts à la fatigue ? Leurs membres sont-ils souples et leur poitrine pleine de souffle ?
Le fils du Peuplier répondit :
– Nam a dormi une partie du jour. Pourquoi ne serait-il pas prêt au combat ?
Et Gaw dit à son tour :
– Le fils du Saïga peut parcourir, de toute sa vitesse, la distance qui le sépare des Kzamms.
– C’est bien ! Naoh et ses jeunes hommes iront vers les Kzamms. Ils vont lutter toute la nuit pour conquérir le Feu.
Nam et Gaw se levèrent d’un bond et suivirent leur chef. Il ne fallait pas compter sur les ténèbres pour surprendre l’ennemi : une lune à peine écornée se levait à l’autre rive du Grand Fleuve. Elle apparaissait tantôt toute rouge au ras des îles, tantôt rompue par quelque file de hauts peupliers, à travers lesquels elle s’éparpillait en lunules ; ailleurs, elle s’enfonçait dans les flots noirs, où son image vacillante parfois rappelait un étincelant nuage d’été, parfois rampait comme un python de cuivre, ou s’allongeait ainsi qu’un cygne ; une nappe d’écailles et de micas s’élançait de son orbe et s’évasait obliquement d’une rive à l’autre.
Les Oulhamr accélérèrent d’abord leur marche, choisissant des terrains où les végétaux étaient courts. À mesure qu’ils approchaient du campement des Kzamms, leurs pas se ralentirent. Ils circulaient parallèlement les uns aux autres, séparés par des intervalles considérables, afin de surveiller la plus grande aire possible et de ne pas être cernés. Brusquement, au détour d’une oseraie, les flammes resplendirent, lointaines encore : le clair de lune les rendait pâles.
Les Kzamms dormaient : trois guetteurs entretenaient le brasier et surveillaient la nuit. Les rôdeurs, tapis parmi les végétaux, épiaient le campement avec une convoitise rageuse. Ah ! s’ils pouvaient seulement dérober une étincelle ! Ils tenaient prêts des brindilles sèches, des rameaux finement découpés : le Feu ne mourrait plus entre leurs mains jusqu’à ce qu’ils l’eussent emprisonné dans la cage d’écorce, doublée intérieurement de pierres plates. Mais comment approcher de la flamme ? Comment détourner l’attention des Kzamms, surexcitée depuis la nuit où le fils du Léopard avait paru devant leur foyer ?...
Naoh dit :
– Voici. Pendant que Naoh remontera le long du Grand Fleuve, Nam et Gaw erreront dans la plaine, autour du camp des Dévoreurs d’Hommes. Tantôt ils se cacheront et tantôt ils se montreront. Quand les ennemis s’élanceront sur leur trace, ils prendront la fuite, mais non de toute leur vitesse, car il faut que les Kzamms espèrent les saisir et qu’ils les poursuivent longtemps. Nam et Gaw mettront leur courage à ne pas fuir trop vite... Ils entraîneront les Kzamms jusqu’auprès de la Pierre Rouge. Si Naoh n’y est pas, ils passeront entre les mammouths et le Grand Fleuve. Naoh retrouvera leur piste.
Les jeunes Nomades frissonnèrent ; il leur était dur d’être séparés de Naoh devant les Kzamms formidables. Dociles, ils se glissèrent à travers les végétaux, tandis que le fils du Léopard se dirigeait vers la rive. Du temps passa. Puis Nam se montra sous un catalpa et disparut ; ensuite la silhouette de Gaw se dessina, furtive, sur les herbes... Les veilleurs
Weitere Kostenlose Bücher