La Guerre Du Feu
de vanesses, de sphinx, de piérides, de noctuelles, de grillons, de lampyres, de hannetons, de blattes...
Le fleuve emportait pêle-mêle les arbres pourris, les sables et les argiles fines, les carcasses, les feuilles, les tiges, les racines.
Et Naoh aima les flots formidables.
Il les regardait descendre, dans leur fièvre d’automne, en un intarissable exode. Ils se heurtaient aux îles et refluaient au rivage, chutes forcenées d’écumes, longues masses planes et presque lacustres, tourbillons de schiste ou de malachite, lames de nacre et remous de fumée, déferlages spumeux, longues rumeurs de jeunesse, d’énergie et d’exaltation.
Comme le Feu, l’Eau semblait à l’Oulhamr un être innombrable ; comme le Feu, elle décroît, augmente, surgit de l’invisible, se rue à travers l’espace, dévore les bêtes et les hommes ; elle tombe du ciel et remplit la terre ; inlassable, elle use les rocs, elle traîne les pierres, le sable et l’argile ; aucune plante ni aucun animal ne peut vivre sans elle ; elle siffle, elle clame, elle rugit ; elle chante, rit et sanglote ; elle passe où ne passerait pas le plus chétif insecte ; on l’entend sous la terre ; elle est toute petite dans la source ; elle grandit dans le ruisseau ; la rivière est plus forte que les mammouths, le fleuve aussi vaste que la forêt. L’Eau dort dans le marécage, repose dans le lac et marche à grands pas dans le fleuve ; elle se rue dans le torrent ; elle fait des bonds de tigre ou de mouflon dans le rapide.
Ainsi sentait Naoh devant les flots inépuisables. Cependant, il fallait s’abriter. Des îles s’offraient : refuge contre les entreprises du fauve, peu efficaces contre les hommes, elles gêneraient les mouvements, rendraient presque impossible la conquête du Feu et exposeraient à toutes les embûches. Naoh préféra le rivage. Il s’établit sur un roc de schiste, qui dominait faiblement le site. Les flancs en étaient abrupts, la partie supérieure formait un plateau où pouvaient s’étendre dix hommes.
Les préparatifs du campement furent terminés au crépuscule. Il y avait entre les Oulhamr et les poursuivants assez de distance pour ne concevoir aucune crainte durant la moitié de la nuit.
Le temps était frais. Peu de nuages rampaient dans le couchant d’écarlate. Tout en dévorant leur repas de chair crue, de noix et de champignons, les guerriers observaient la terre noircissante. La clarté permettait encore de discerner les îles, sinon l’autre rive du fleuve. Des onagres passèrent ; une troupe de chevaux descendit jusqu’aux berges ; c’étaient des bêtes trapues, dont la tête paraissait très grosse, à cause de la crinière emmêlée. Leurs mouvements avaient un grand charme ; leurs yeux, larges et fous, dardaient une lueur bleue ; l’inquiétude rompait et précipitait leur élan ; penchés sur l’eau, ils demeuraient tremblants, pleins de méfiance. Ils burent vite et s’enfuirent. Et la nuit éploya son aile de cendre ; elle couvrait déjà l’orient, tandis qu’à l’occident persistait une pourpre fine ; un rugissement tonna sur l’étendue.
– Le lion ! murmura Gaw.
– La rive est pleine de proies ! répondit Naoh. Le lion est sage ; il attaquera plutôt l’antilope ou le cerf que les hommes !
Le rugissement s’éloigna ; des chacals glapirent et l’on vit sinuer leurs silhouettes légères. Les Oulhamr dormirent alternativement jusqu’à l’aube. Ensuite, ils se remirent à descendre la rive du Grand Fleuve. Des mammouths les arrêtèrent. Leur troupeau couvrait une largeur de mille coudées et une longueur triple ; ils pâturaient, ils arrachaient les plantes tendres, ils déterraient les racines, et leur existence parut, aux trois hommes, heureuse, sûre et magnifique. Quelquefois, se réjouissant dans leur force, ils se poursuivaient sur la terre molle ou s’entre-frappaient doucement de leurs trompes velues. Sous leurs pieds immenses, le lion géant ne serait qu’une argile ; leurs défenses déracineraient les chênes, leurs têtes de granit les briseraient. Et, considérant la souplesse de leurs trompes, Naoh ne put s’empêcher de dire :
– Le mammouth est le maître de tout ce qui vit sur la terre !
Il ne les craignait point : il savait qu’ils n’attaquent aucune bête, si elle ne les importune pas.
Il dit encore :
– Aoûm, fils du Corbeau, avait fait alliance avec les mammouths.
_ Pourquoi ne ferions-nous
Weitere Kostenlose Bücher