La Guerre Du Feu
innombrable. Gaw parfois retrouvait ses jarrets, parfois s’alanguissait, les muscles mous, le souffle rude.
Naoh l’entraînait par la main. L’avantage n’en restait pas moins aux Kzamms. Ils suivaient d’un trot soutenu, sans même se hâter, confiants dans leur endurance. Or Naoh ne pouvait plus emporter son compagnon. La grande fatigue et la fièvre rendaient sa blessure pesante ; son crâne s’emplissait de rumeur ; et, par surcroît, il avait heurté son pied contre une roche.
– Il faut que Gaw meure ! ne cessait de répéter le jeune guerrier. Naoh dira qu’il a bien combattu.
Sombre, le chef ne répondait point. Il écoutait le trot des ennemis. De nouveau, ils furent à deux cents coudées, puis à cent, tandis que les fugitifs gravissaient une pente. Alors, le fils du Léopard, rassemblant ses énergies profondes, maintint la distance jusqu’au haut du mamelon. Et là, jetant un long regard sur l’occident, la poitrine palpitante à la fois de lassitude et d’espérance, il cria :
– Le Grand Fleuve..., les mammouths !
L’eau vaste était là, miroitante parmi les peupliers, les aulnes, les frênes et les vernes ; le troupeau était là aussi, à quatre mille coudées, paissant les racines et les jeunes arbres. Naoh se rua, entraînant Gaw dans un élan qui leur fit gagner plus de cent coudées. C’était le dernier soubresaut ! Ils reperdirent cette faible avance, coudée par coudée.
Les Kzamms poussaient leur cri de guerre...
Quand deux mille coudées séparèrent Naoh et Gaw de la cime du mamelon, les Kzamms étaient presque à portée. Ils gardaient leur pas égal et bref, d’autant plus sûrs d’atteindre les Oulhamr qu’ils les acculeraient au troupeau de mammouths. Ils savaient que ceux-ci, malgré leur indifférence pacifique, ne souffraient aucune présence ; donc, ils refouleraient les fugitifs.
Toutefois les poursuivants ne négligeaient pas de se rapprocher ; on entendait maintenant leur souffle, et il fallait encore parcourir mille coudées !... Alors Naoh poussa une longue plainte et l’on vit un homme émerger d’un bois de platanes ; puis une des énormes bêtes leva sa trompe avec un barrit strident. Elle s’élança, suivie de trois autres, droit vers le fils du Léopard. Les Kzamms, effarés et contents, s’arrêtèrent : il n’y avait plus qu’à attendre le recul des Oulhamr, à les cerner et à les anéantir.
Naoh, cependant, continua de courir pendant une centaine de coudées, puis, tournant vers les Kzamms son visage creux de fatigue et ses yeux étincelants de triomphe, il cria :
– Les Oulhamr ont fait alliance avec les mammouths. Naoh se rit des Dévoreurs d’Hommes.
Tandis qu’il parlait, les mammouths arrivèrent ; à la stupeur infinie des Kzamms, le plus grand mit sa trompe sur l’épaule de l’Oulhamr. Et Naoh poursuivit :
– Naoh a pris le Feu. Il a abattu quatre guerriers dans le campement ; il en a abattu quatre autres pendant la poursuite...
Les Kzamms répondirent par des hurlements de fureur, mais, comme les mammouths avançaient encore, ils reculèrent en hâte, car, pas plus que les Oulhamr, ils n’avaient encore conçu que l’homme pût combattre ces hordes colossales.
7
La vie chez les mammouths
Nam avait bien gardé le Feu. Il brûlait clair et pur dans sa cage lorsque Naoh le retrouva. Et quoique son harassement fût extrême, que la blessure mordît sa chair comme un loup, que sa tête bourdonnât de fièvre, le fils du Léopard eut un grand moment de bonheur. Dans sa large poitrine battait toute l’espérance humaine, plus belle de ce que, sans l’ignorer, il ne songeait pas à la mort. La jeunesse palpitait en lui et, pour sa courte prévoyance, c’était l’Éternité. Il vit le marécage au printemps, lorsque les roseaux dardent tous ensemble leurs flèches tendres, lorsque les peupliers, les aulnes et les saules revêtent leur fourrure verte et blanche, lorsque les sarcelles, les hérons, les ramiers, les mésanges s’interpellent, lorsque la pluie tombe si allègre que c’est comme si la vie même tombait sur la terre. Et devant les eaux, et sur les herbes et parmi les arbres, la face de la postérité était la face de Gammla ; toute la joie des hommes était le corps flexible, les bras fins et le ventre rond de la nièce de Faouhm.
Quand Naoh eut rêvé devant le Feu, il cueillit des racines et des plantes tendres, pour en faire hommage au chef des mammouths, car il concevait
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