La Guerre Du Feu
rassura. Comme son agitation ou son calme réglaient, depuis de longues années, l’agitation et le calme du troupeau, tous, peu à peu, ne redoutèrent plus le Feu immobile des Oulhamr comme ils redoutaient le Feu formidable qui galope sur la steppe.
Ainsi, Naoh put nourrir la flamme et refouler les ténèbres. Ce soir-là, il goûta la viande, les racines, les champignons rôtis, et il s’en délecta.
Le sixième jour, la présence des Kzamms devint plus insupportable. Naoh avait maintenant repris toute sa force ; l’inaction lui pesait ; l’étendue l’appelait vers le nord. Ayant vu plusieurs torses velus apparaître parmi des platanes, il fut saisi de colère. Il s’exclama :
– Les Kzamms ne se nourriront pas de la chair de Naoh, de Gaw et de Nam !
Puis il fit venir ses compagnons et leur dit :
– Vous appellerez les mammouths avec lesquels vous avez fait alliance, et, moi, je me ferai suivre du grand chef. Ainsi, nous pourrons combattre les Dévoreurs d’Hommes.
Ayant caché le Feu en lieu sûr, les Oulhamr se mirent en route. À mesure qu’ils s’éloignaient du camp, ils offraient des aliments aux mammouths, et Naoh, par intervalles, parlait d’une voix douce. Cependant, à une certaine distance, les colosses hésitèrent. Le sentiment de leur responsabilité envers le troupeau s’accroissait à chaque enjambée. Ils s’arrêtaient, ils tournaient la tête vers l’occident. Puis ils cessèrent d’avancer. Et, lorsque Naoh fit entendre le cri d’appel, le chef des mammouths y riposta en appelant à son tour. Le fils du Léopard revint sur ses pas, il passa la main sur la trompe de son allié, disant :
– Les Kzamms sont cachés parmi les arbustes ! Si les mammouths nous aidaient à les combattre, ils n’oseraient plus rôder autour du camp !
Le chef des mammouths demeurait impassible. Il ne cessait de considérer, à l’arrière, le troupeau lointain dont il menait les destinées. Naoh, sachant que les Kzamms étaient cachés à quelques portées de flèche, ne put se résoudre à abandonner l’attaque. Il se glissa, suivi de Nam et de Gaw, à travers les végétaux. Des javelots sifflèrent ; plusieurs Kzamms se dressèrent sur la broussaille pour mieux viser l’ennemi ; et Naoh poussa un long, un strident cri d’appel.
Alors, le chef des mammouths parut comprendre. Il lança dans l’espace le barrit formidable qui rassemblait le troupeau, il fonça, suivi des deux autres mâles, sur les Dévoreurs d’Hommes. Naoh, brandissant sa massue, Nam et Gaw, tenant la hache dans leur main gauche, un dard de la main droite, s’élançaient en clamant belliqueusement. Les Kzamms, épouvantés, se dispersèrent à travers la brousse ; mais la fureur avait saisi les mammouths ; ils chargeaient les fugitifs comme ils auraient chargé des rhinocéros, tandis que, de la rive du Grand Fleuve, on voyait le troupeau accourir par masses fauves. Tout craquait sur le passage des bêtes formidables ; les animaux cachés, loups, chacals, chevreuils, cerfs, élaphes, chevaux, saïgas, sangliers, se levaient à travers l’horizon et fuyaient comme devant la crue d’un fleuve.
Le grand mammouth atteignit le premier un fugitif. Le Kzamm se jeta sur le sol en hurlant de terreur, mais la trompe musculeuse se replia pour le saisir ; elle lança l’homme verticalement, à dix coudées de terre, et, lorsqu’il retomba, une des vastes pattes l’écrasa comme un insecte. Ensuite, un autre Dévoreur d’Hommes expira sous les défenses du deuxième mâle, puis l’on vit un guerrier, tout jeune encore, se tordre, hurlant et sanglotant, dans une étreinte mortelle.
Le troupeau arrivait. Son flux monta sur la broussaille ; un mascaret de muscles engloutit la plaine ; la terre palpita comme une poitrine ; tous les Kzamms qui se trouvaient sur le passage, depuis le Grand Fleuve jusqu’aux tertres et jusqu’au bois de frênes, furent réduits en boue sanglante. Alors seulement la fureur des mammouths s’apaisa. Le chef, arrêté au pied d’un mamelon, donna le signal de la paix : tous s’arrêtèrent, les yeux encore étincelants, les flancs secoués de frissons.
Les Kzamms échappés au désastre fuyaient éperdument vers le midi. Il n’y avait plus à craindre leurs embûches : ils renonçaient pour toujours à traquer les Oulhamr et à les dévorer ; ils portaient à leur horde l’étonnante nouvelle de l’alliance des hommes du nord et des mammouths, dont la légende
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