La Guerre Du Feu
morceau de chair séchée, se pencha sur le sol et se remit à suivre la piste. Elle le guida pendant des milliers de coudées. Sortie du bois, elle traversa une plaine de sable où l’herbe était rare et les arbrisseaux rabougris ; elle tourna parmi des terres où les roseaux rouges pourrissaient au bord des mares ; elle monta une colline et s’engagea parmi des mamelons ; elle s’arrêta enfin au bord d’une rivière que Gaw, certainement, avait franchie. Naoh la franchit à son tour et, après de longues démarches, découvrit que deux pistes de Kzamms convergeaient : Gaw pouvait être cerné !
Alors, le chef pensa qu’il serait bon d’abandonner le fugitif à son sort, afin de ne pas risquer, contre une seule existence, sa vie, celle de Nam et celle du Feu. Mais la poursuite l’exaspérait, quelque fièvre battait entre ses tempes, une espérance s’obstinait malgré tout ; il subissait aussi le simple entraînement de la chose commencée.
Outre les deux partis de Kzamms, dont Naoh venait de reconnaître la ruse, il fallait craindre celui qui avait poursuivi Nam et qui, après tant de tours et de détours, avait eu le temps de prendre une position avantageuse, si même il ne s’était divisé en groupes enveloppants. Confiant dans sa grande vitesse et dans sa ruse, le fils du Léopard suivit sans hésiter la piste même de Gaw, s’arrêtant à peine pour sonder l’étendue.
Le sol devint dur : le granit apparaissait sous un humus pauvre et de couleur bleuâtre ; puis une colline escarpée se présenta, que Naoh se décida à gravir, car les traces étaient maintenant assez récentes pour que, de la cime, on pût espérer surprendre la silhouette de Gaw ou un parti de poursuivants. Le Nomade se glissa parmi la broussaille et parvint tout au haut de la colline. Il poussa une faible exclamation : Gaw venait d’apparaître sur une bande de terre rouge, terre de minium qui semblait arrosée du sang de troupeaux innombrables.
Derrière lui, à mille coudées, les hommes aux grands torses et aux jambes brèves avançaient en ordre éparpillé ; vers le nord, une deuxième troupe débordait. Toutefois, malgré la durée de la poursuite, le fils du Saïga ne semblait pas épuisé ; les Kzamms trahissaient une fatigue pour le moins égale à la sienne. Durant la longue nuit d’automne, Gaw n’avait pris le galop que pour se dérober aux embûches ou pour inquiéter les ennemis. Par malheur, les manœuvres des Kzamms l’avaient égaré ; il se dirigeait à l’aventure, sans plus savoir s’il était au couchant ou au midi du roc où il devait rejoindre le chef.
Naoh put suivre les péripéties de la chasse. Gaw filait vers un bois de pins au nord-est. La première troupe le suivait en formant une ligne brisée qui coupait la retraite sur un front de mille coudées. La deuxième troupe, qui débordait au nord, commençait à s’infléchir, de manière à atteindre le bois en même temps que le fugitif : mais, tandis que celui-ci l’aborderait par le sud-ouest, eux devaient y accéder par le levant. Cette situation n’était point désespérée, ni même très défavorable, pourvu que le fugitif obliquât vers le nord-ouest, dès qu’il se trouverait à couvert. Véloce, il lui serait facile de prendre une avance convenable et, si Naoh le joignait alors, ils pourraient prendre la voie du Grand Fleuve.
D’un coup d’œil bref, le chef reconnut la voie favorable : c’était une étendue broussailleuse, où il serait caché et qui le mènerait à la hauteur du bois, au couchant. Déjà, il se disposait à descendre de la colline, lorsqu’une péripétie nouvelle, de beaucoup plus redoutable, le fit tressaillir : un troisième parti apparaissait, cette fois au nord-ouest ; Gaw ne pouvait plus éviter l’étreinte des Kzamms qu’en fuyant à l’occident à grande vitesse. Il ne semblait pas avoir conscience du péril, il suivait une ligne droite.
Une fois encore, Naoh hésita entre la nécessité de sauvegarder le Feu, Nam et lui-même, et la tentation de secourir Gaw ; une fois encore, il céda à la force mystérieuse qui pousse l’homme et les bêtes à poursuivre l’œuvre commencée. Le fils du Léopard, après un long regard sur le site, dont toutes les particularités se fixèrent sur sa rétine, descendit la colline.
Il s’engagea le long de la broussaille, dont il suivit la limite occidentale. Puis il fit un crochet à travers de hautes herbes bleues et rousses ;
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