La Guerre Du Feu
insaisissable : malgré la galopade furieuse, la plaie semblait close ; puis, après quelques efforts plus brusques ou quelques faux pas dans une fondrière, le liquide rouge se mettait à sourdre. De jeunes peupliers s’étaient rencontrés, Naoh avait construit un tampon de feuilles ; mais la blessure continuait à saigner sous le bandage ; peu à peu, la vitesse de Gaw devint égale, puis inférieure à celle des Kzamms. Chaque fois, maintenant, que les fugitifs se retournaient, l’avant-garde des Kzamms avait gagné du terrain. Et le fils du Léopard, avec une rage profonde, songeait que, si Gaw ne reprenait pas quelque force, ils seraient rejoints avant d’avoir pu atteindre le troupeau des mammouths. Mais Gaw ne reprenait pas de force ; une colline se présenta, qu’il gravit avec une peine excessive ; au sommet, les jambes tremblantes, le visage couleur de cendre, le cœur exténué, il chancela. Et Naoh, tourné vers la troupe fauve, qui commençait à gravir la pente, vit combien la distance avait encore décru.
– Si Gaw ne peut plus courir, dit-il d’une voix creuse, les Dévoreurs d’Hommes nous auront rejoints avant que nous n’arrivions en vue du fleuve.
– Les yeux de Gaw sont obscurs, ses oreilles sifflent comme des grillons ! balbutia le jeune guerrier. Que le fils du Léopard continue seul sa course, Gaw mourra pour le Feu et pour le chef.
– Gaw ne mourra pas encore !
Et, se tournant vers les Kzamms, Naoh poussa un furieux cri de guerre, puis, jetant Gaw sur son dos, il reprit sa course. D’abord, son grand courage et sa formidable musculature lui permirent de garder son avance. Sur le sol déclive, il bondissait, emporté par la pesanteur. Flexibles comme des branches de frêne, ses jarrets soutenaient cette chute incessante. Au bas de la colline, son souffle s’accéléra, ses pieds s’alourdirent. Sans sa blessure, qui brûlait sourdement, sans le coup de massue sur la tête, qui faisait encore bruire ses oreilles, il aurait pu, même avec Gaw sur l’épaule, devancer les Dévoreurs d’Hommes aux jambes trapues et lassés par une longue course. Mais il avait dépassé ses forces ; nulle bête sur la steppe ou sous les futaies n’aurait pu mener une tâche aussi longue et aussi harassante... Maintenant, sans relâche, la distance décroissait, qui le séparait des Kzamms. Il entendait leurs pas gratter la terre et y rebondir ; il savait à chaque moment de combien ils se rapprochaient : ils furent à cinq cents coudées, puis à quatre cents, puis à deux cents. Alors, le fils du Léopard déposa Gaw sur la terre et, les yeux hagards, il eut une hésitation suprême.
– Gaw, fils du Saïga, dit-il enfin, Naoh ne peut plus t’emporter devant les Dévoreurs d’Hommes !
Gaw s’était redressé. Il dit :
– Naoh doit abandonner Gaw et sauver le Feu.
Tout engourdi, car, malgré les secousses, il avait dormi sur l’épaule du chef, il se secoua, il étendit les bras, et les Kzamms, parvenus à soixante coudées, levaient leurs sagaies pour commencer la lutte. Naoh, résolu à ne fuir qu’au dernier moment, leur fit face. Les premiers projectiles bourdonnèrent ; lancés de trop loin, la plupart retombaient sans même parvenir jusqu’aux Oulhamr ; un seul, effleurant Gaw à la jambe, lui fit une blessure aussi légère qu’une épine d’églantier. À la riposte, Naoh atteignit le plus proche des Dévoreurs d’Hommes ; ensuite, il transperça le ventre d’un guerrier qui s’avançait à grands bonds. Ce double exploit jeta le trouble parmi les agresseurs d’avant-garde. Ils poussèrent une clameur épouvantable, mais s’arrêtèrent pour attendre du renfort.
Cette pause fut favorable aux Oulhamr. La piqûre semblait avoir réveillé Gaw. D’une main encore faible, il avait saisi un harpon et il le brandissait, attendant que les ennemis fussent à bonne portée. Naoh, voyant le geste, demanda :
– Gaw a donc repris de la force ? Qu’il fuie !... Naoh retardera la poursuite...
Le jeune guerrier hésitait, mais le chef reprit d’un ton bref :
– Va !
Gaw se mit à fuir, d’un pas qui, d’abord lourd et hésitant, s’affermissait à mesure. Naoh reculait, lent et formidable, tenant à chaque main une sagaie, et les Kzamms hésitaient. Enfin, leur chef ordonna l’attaque. Les dards sifflèrent, les hommes bondirent. Naoh arrêta encore deux guerriers dans leur course et prit du champ.
Et la poursuite recommença sur la terre
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