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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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referma les yeux, et ce souvenir, en se confondant dans son imagination avec le globe vacillant et liquide du vieux professeur, lui causa une telle impression de bien-être et de fraîcheur, qu’il crut se sentir glisser doucement dans une eau profonde, dont les flots, clairs comme le cristal, se réunissaient sans bruit au-dessus de sa tête !
     
    Une vive fusillade et de grands cris le réveillèrent bien avant le lever du soleil.
    « Les cosaques ! » s’écria un Français qui s’enfuyait, et, une minute plus tard, Pierre se trouva entouré de compatriotes.
    Il fut longtemps à comprendre ce qui se passait. De toutes parts s’élevaient des exclamations de joie :
    « Frères ! amis ! camarades ! » répétaient les vieux soldats en pleurant et en embrassant les cosaques et les hussards, qui, de leur côté, entouraient les prisonniers et leur offraient, qui un vêtement, qui des bottes, qui du pain !
    Pierre sanglotait, et comme il ne pouvait, dans son émotion, prononcer un mot, il sauta au cou du premier soldat venu.
     
    Dologhow, debout à l’entrée de la maison en ruines, assistait au défilé des Français désarmés, en donnant de légers coups de cravache sur la pointe de ses bottes. Sous l’impression, toute chaude encore, de leur mésaventure, ils parlaient haut entre eux, mais, en passant devant lui, et en sentant peser sur eux son regard glacial et pénétrant, qui ne leur promettait rien de bon, ils sentaient expirer la parole sur leurs lèvres. À deux pas de lui, un cosaque comptait les prisonniers, et marquait les centaines d’un trait de craie sur le battant de la porte cochère.
    « Combien ? demanda Dologhow.
    – La seconde centaine, répondit le cosaque.
    – Filez, filez ! » disait Dologhow, qui avait emprunté cette expression aux Français, et un éclair de cruauté jaillissait de ses yeux lorsqu’ils se croisaient avec ceux des prisonniers.
    Denissow, la tête découverte, suivait d’un air sombre et accablé les cosaques qui portaient le corps de Pétia, pour le déposer dans la fosse qu’ils avaient creusée au fond du jardin.

XV
    À partir du 28 octobre, lorsque les froids commencèrent, la retraite des Français prit un caractère plus tragique. Le nombre des hommes gelés ou se chauffant à en mourir aux feux des bivouacs augmenta de jour en jour.
    De Moscou à Viazma, on ne comptait plus que 36 000 hommes des 73 000, non compris la garde, qui pendant toute la guerre n’avaient fait que piller. La suite devait correspondre mathématiquement à ce commencement : l’armée française diminuait dans la même proportion de Viazma à Smolensk, de Smolensk à la Bérésina et de la Bérésina à Vilna, indépendamment de l’intensité du froid, de la poursuite des Russes, des obstacles imprévus, ou de toute autre circonstance prise isolément. À partir de Viazma, les trois colonnes se fondirent en une masse confuse qui marcha ainsi jusqu’à la fin. Berthier écrivait à son souverain ce qui suit (et l’on sait à quel point les chefs se permettent de s’écarter de la vérité lorsqu’ils décrivent la situation d’une armée) :
    « Je crois devoir faire connaître à Votre Majesté l’état de ses troupes dans les différents corps d’armée que j’ai été à même d’observer depuis deux ou trois jours dans différents passages. Elles sont presque débandées. Le nombre des soldats qui suivent les drapeaux est en proportion du quart au plus dans presque tous les régiments ; les autres suivent isolément différentes directions, chacun pour son compte, dans l’espérance de trouver des subsistances et pour se débarrasser de la discipline. En général ils regardent Smolensk comme le point où ils doivent se refaire. Ces derniers jours on a remarqué que beaucoup de soldats jettent leurs cartouches et leurs armes. Dans cet état de choses, l’intérêt du service de Votre Majesté exige, quelles que soient ses vues ultérieures, qu’on rallie l’armée à Smolensk, en commençant à la débarrasser des non-combattants, tels que les hommes démontés, et des bagages inutiles et du matériel de l’artillerie, qui n’est plus en proportion avec les forces actuelles. En outre, deux jours de repos, des subsistances sont nécessaires aux soldats, qui sont exténués par la faim et la fatigue ; beaucoup sont morts ces derniers jours sur la route et dans les bivouacs. Cet état de choses va toujours en s’aggravant, et donne lieu de

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