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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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beaucoup parlé de vous les derniers temps, – et elle reporta ses yeux sur la dame en noir avec une hésitation qui n’échappa pas à Pierre.
    – La nouvelle de votre délivrance m’a fait bien plaisir, c’est la seule joie que nous ayons eue depuis longtemps. – Et de nouveau elle jeta un regard inquiet à sa compagne.
    – Figurez-vous que je n’ai rien su de lui, dit Pierre… je le croyais tué, et ce que j’ai appris m’est parvenu indirectement par des tiers. Je sais qu’il a rencontré les Rostow… Quelle étrange coïncidence ! »
    Pierre parlait avec vivacité. Il jeta à son tour les yeux sur l’étrangère, et, voyant son regard de curiosité affectueuse, il comprit instinctivement qu’il devait y avoir dans cette dame en grand deuil un être bon et charmant, qui ne gênerait en rien ses épanchements avec la princesse Marie. Celle-ci ne put s’empêcher de laisser percer un grand embarras lorsqu’il fit allusion aux Rostow, et son regard alla de nouveau de Pierre à la dame en noir.
    « Vous ne la connaissez donc pas ? » dit-elle.
    Pierre examina plus attentivement le pâle et fin visage, la bouche étrangement contractée et les grands yeux noirs de l’inconnue, où tout à coup il retrouva ce rayonnement intime, si doux à son cœur, dont il était depuis si longtemps privé. « Non, c’est impossible, se dit-il. Serait-ce elle, cette figure pâle, maigre, vieillie, avec cette expression austère… c’est sans doute une hallucination !» À ce moment la princesse Marie prononça le nom de Natacha, et le pâle et fin visage aux yeux tristes et recueillis fit un mouvement, comme une porte rouillée qui cède à une pression du dehors. La bouche sourit, et il s’échappa de ce sourire un effluve de bonheur qui enveloppa Pierre et le pénétra tout entier. Plus de doute possible devant ce sourire : c’était Natacha, et il l’aimait plus que jamais !
    La violence de son impression fut telle, qu’elle révéla à Natacha, à la princesse Marie, et surtout à lui-même, l’existence d’un amour qu’il avait encore de la peine à s’avouer. Son émotion était mêlée de joie et de douleur, et plus il cherchait à la dissimuler, plus elle s’accentuait, sans le secours de paroles précises, par une rougeur indiscrète : « C’est seulement de la surprise, » se dit Pierre ; mais, quand il voulut renouer la conversation, il regarda encore une fois Natacha, et son cœur se remplit de bonheur et de crainte. Il s’embrouilla dans sa réponse, et s’arrêta court. Ce n’était pas seulement parce qu’elle était pâlie et amaigrie, qu’il ne l’avait pas reconnue, mais parce que dans ses yeux, où brillait jadis le feu de la vie, il n’y avait plus que sympathie, bonté et inquiète tristesse.
    La confusion de Pierre n’eut pas d’écho chez Natacha, et une douce satisfaction éclaira seule son visage.

XVII
    « Elle est venue passer quelque temps avec moi, lui dit la princesse Marie. Le comte et la comtesse nous rejoindront ces jours-ci… La pauvre comtesse fait mal à voir… Natacha elle-même a besoin de consulter un médecin ; aussi l’ai-je enlevée de force.
    – Hélas ! Qui de nous n’a pas éprouvé, répondit Pierre… Vous savez sans doute que « c’est arrivé » le jour de notre délivrance… Je l’ai vu, quel charmant garçon c’était ! »
    Natacha gardait le silence, mais ses yeux s’agrandissaient et brillaient de pleurs contenus.
    « Aucune consolation n’est possible, poursuivit Pierre, aucune ! Pourquoi, on se le demande, pourquoi est-il mort, ce cher enfant, plein de jeunesse et de vie ?
    – Oui, oui, c’est ce qui rend la foi doublement nécessaire de nos jours, dit la princesse Marie.
    – C’est bien vrai, répondit Pierre.
    – Pourquoi ? demanda Natacha en le regardant.
    – Comment, pourquoi ? dit la princesse Marie… La seule pensée de ce qui attend ceux…
    – Parce que, interrompit Pierre, celui qui croit en un Dieu qui nous dirige peut seul supporter une perte semblable à celles que vous avez éprouvées. »
    Natacha fit un mouvement pour répondre, mais s’arrêta, pendant que Pierre s’adressait avec empressement à la princesse Marie pour avoir des détails sur les derniers jours de son ami. Son embarras avait disparu, mais avec cet embarras avait aussi disparu le sentiment de son entière liberté ; il se disait que maintenant chacune de ses paroles, chacune de ses actions avait un juge dont

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