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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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passé.
    – Racontez-nous comment vous avez vécu, c’est toute une légende, à ce qu’on nous a dit ?
    – Oui, oui, répondit-il avec un air de douce raillerie, on a inventé sur moi des choses que je n’ai pas vues même en rêve. J’en suis encore tout ébahi. Je suis devenu un homme intéressant, et cela ne me donne aucun mal… C’est à qui m’engagera et me racontera en détail ma captivité fantastique.
    – On nous a dit que l’incendie de Moscou vous avait coûté deux millions : est-ce vrai ?
    – Peut-être, mais je suis devenu trois fois plus riche qu’auparavant, répondit Pierre, qui ne cessait de le répéter à qui voulait l’entendre, malgré la diminution que devait apporter à ses revenus sa résolution de payer les dettes de sa femme et de reconstruire ses hôtels. Ce que j’ai infailliblement recouvré, c’est ma liberté, – mais il s’arrêta, ne voulant pas s’appesantir sur un ordre d’idées qui lui était tout personnel.
    – Est-il vrai que vous comptiez rebâtir ?
    – Oui, c’est le désir de Savélitch.
    – Où avez-vous appris la mort de la comtesse ? Étiez-vous encore à Moscou ? »
    La princesse Marie rougit aussitôt, craignant que Pierre ne donnât une fausse interprétation à ces paroles qui soulignaient ce qu’il avait dit de sa liberté recouvrée.
    « Non, j’en ai reçu la nouvelle à Orel ; vous pouvez vous figurer combien j’en ai été surpris. Nous n’étions pas des époux modèles, dit-il en regardant Natacha et en devinant qu’elle était curieuse d’entendre de quelle façon il s’exprimerait à ce sujet ; mais sa mort m’a frappé de stupeur. Lorsque deux personnes vivent mal ensemble, toutes les deux ont tort généralement, et l’on se sent doublement coupable envers celle qui n’est plus… Puis, elle est morte sans amis, sans consolations. Aussi ai-je ressenti une grande pitié pour elle, – et il cessa de parler, heureux de sentir qu’il avait l’approbation de Natacha.
    – Vous voilà donc redevenu un célibataire et un parti ? » dit la princesse Marie.
    Pierre devint écarlate et baissa les yeux. Les relevant, après un long silence, sur Natacha, il lui sembla que l’expression de son visage était froide, réservée, presque dédaigneuse.
    « Avez-vous réellement vu Napoléon, comme on le raconte ? lui demanda la princesse Marié.
    – Jamais, dit Pierre en éclatant de rire… Il leur semble en vérité à tous que prisonnier et hôte de Napoléon sont synonymes. Je n’en ai même pas entendu parler ; le milieu dans lequel je vivais était trop obscur pour cela.
    – Avouez maintenant, lui dit Natacha, que vous étiez resté à Moscou pour le tuer ? Je l’avais bien deviné lorsque nous vous avons rencontré. »
    Pierre répondit que c’était en effet son intention, et, se laissant entraîner par leurs nombreuses questions, il leur fit un récit détaillé de toutes ses aventures. Il en parla tout d’abord avec cette indulgente ironie qu’il apportait dans ses jugements sur autrui et sur lui-même, mais peu à peu le souvenir, si vivant encore, des souffrances qu’il avait endurées et des horreurs auxquelles il avait assisté, donna à ses paroles cette émotion vraie et contenue de l’homme qui repasse dans sa mémoire les scènes poignantes auxquelles il a été mêlé.
    La princesse Marie examinait tour à tour Natacha et Pierre, dont cette narration faisait surtout ressortir l’inaltérable bonté. Natacha, accoudée et le menton sur sa main, en suivait, avec sa physionomie mobile, tous les incidents. Son regard, ses exclamations, ses questions brèves, prouvaient qu’elle saisissait le sens réel de ce qu’il voulait leur faire comprendre, et, mieux que cela, le sens intime de ce qu’il ne pouvait exprimer en paroles. L’épisode de l’enfant et de la femme dont il avait pris la défense et qui avaient été la cause son arrestation, fut raconté par lui en ces termes :
    « Le spectacle était horrible, des enfants abandonnés, d’autres oubliés dans les flammes… On en retira un devant mes yeux… puis des femmes, dont on arrachait les vêtements et les boucles d’oreilles… » Pierre rougit et s’arrêta en hésitant.
    « Une patrouille survint à ce moment et arrêta les paysans et tous ceux qui ne pillaient pas, moi avec.
    – Vous ne racontez pas tout, dit Natacha en l’interrompant, vous aurez sûrement fait… une bonne action ?»
    Pierre continua ; arrivé à la

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