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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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du petit salon : « Il ne dort peut-être pas et je pourrai m’expliquer avec lui, » pensait-elle. André, l’aîné des petits garçons, l’avait suivie, sans qu’elle s’en fût aperçue.
    « Chère Marie, il dort, je crois, il est si fatigué ! lui dit tout à coup Sonia, qu’il lui semblait devoir rencontrer à chaque pas, et André pourrait le réveiller. »
    La comtesse Marie se retourna, aperçut son fils, et, sentant que Sonia avait raison, retint avec peine la réponse sèche et brève qui était déjà sur ses lèvres. Sans paraître l’avoir entendue, elle fit signe à l’enfant de ne pas faire de bruit et s’approcha du petit salon, pendant que Sonia sortait par une porte opposée. S’arrêtant sur le seuil et écoutant la respiration égale du dormeur, dont les moindres variations lui étaient si familières, son imagination lui représenta ce front uni, cette fine moustache, ce cher et charmant visage, tous les détails enfin qu’elle avait si souvent contemplés pendant le calme de la nuit. Nicolas fit un mouvement, et le petit André, qui s’était glissé dans la chambre, lui cria :
    « Papa, maman est derrière la porte. »
    La comtesse Marie blêmit de terreur, fit geste sur geste à son fils, qui se tut, et tout rentra pendant quelques instants dans un silence gros d’orage. Elle savait qu’il n’aimait pas à être réveillé, et l’accent grondeur de sa voix ne tarda pas à lui en donner une nouvelle preuve.
    « Ne me laissera-t-on jamais une minute en repos ?… Marie, est-ce toi ? Pourquoi l’as-tu laissé entrer ?
    – Je ne suis venue que pour voir si… Je ne savais pas qu’il était là, pardonne-moi… »
    Nicolas grommela quelques mots et la comtesse Marie emmena le petit garçon. Cinq minutes à peine s’étaient passées depuis cet incident, la petite Natacha, qui venait d’avoir trois ans et qui était la favorite de son père, ayant su par André qu’il dormait, s’enfuit à l’insu de la comtesse, poussa hardiment la porte, qui cria sur ses gonds, s’approcha à petits pas résolus du canapé où Nicolas était couché en lui tournant le dos, et, se hissant sur la pointe des pieds, baisa sa main passée sous sa tête. Son père se retourna et lui adressa un doux sourire.
    « Natacha, Natacha, lui dit tout bas sa mère en l’appelant par la porte entrouverte, viens, viens, laisse dormir papa !
    – Mais non, maman, papa n’a pas envie de dormir, il rit, » reprit avec conviction la fillette.
    Nicolas posa ses pieds à terre et souleva l’enfant dans ses bras.
    « Approche donc, Marie, » dit-il à sa femme.
    Elle entra et s’assit à côté de lui.
    « Je ne l’avais pas vue, » dit-elle timidement.
    Nicolas, tenant d’une main sa fille, tourna les yeux vers sa femme, et, remarquant son air suppliant, lui passa l’autre bras autour de la taille, et lui baisa les cheveux.
    « Est-ce permis d’embrasser maman ? demanda-t-il à la petite, qui sourit d’un air espiègle, en indiquant d’un geste de commandement qu’il fallait recommencer.
    – Pourquoi supposes-tu que je suis de mauvaise humeur ? lui dit Nicolas, qui devinait la secrète pensée de sa femme.
    – Tu ne peux t’imaginer combien je me sens isolée lorsque je te vois ainsi : il me semble toujours…
    – Voyons, Marie, quelle folie ! Comment n’as-tu pas honte… ?
    – Il me semble alors que tu ne peux m’aimer, tant je suis laide, surtout dans ce moment.
    – Tais-toi, tu ne sais ce que tu dis : il n’y a pas de laides amours : c’est Malvina et compagnie qu’on peut aimer parce qu’elles sont jolies… Est-ce qu’on aime sa femme ? Je ne t’aime pas… Et cependant comment te dire ?… Qu’un chat noir passe entre nous… ou que je me trouve seul sans toi, je me sens perdu, je ne suis plus bon à rien… Est-ce que j’aime mon doigt ?… Allons donc ! je ne l’aime pas, mais qu’on essaye de me le couper…
    – Je ne suis pas comme cela, moi, mais je te comprends tout de même… Tu ne m’en veux pas, n’est-ce pas ?
    – Bien au contraire, » répondit-il en souriant, et, la paix étant faite, il se mit à marcher de long en large, et à penser tout haut devant sa femme comme il en avait l’habitude.
    Il ne lui venait même pas à l’esprit de lui demander si elle était disposée à l’entendre, car, selon lui, ils devaient avoir spontanément la même pensée. Il lui fit donc part de son intention d’engager Pierre et sa famille

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