La Guerre et la Paix - Tome III
sentit, comme elle le raconta plus tard, l’impression d’une fraîche brise qui pénétrait dans son cœur… C’était la grâce qui opérait !
On la conduisit ensuite vers un abbé de robe longue, qui la confessa et lui donna l’absolution. Le lendemain il lui apporta chez elle, dans une boîte d’or, les hosties de la communion ; il la félicita d’être entrée dans le giron de la sainte Église catholique, l’assura que le pape en allait être informé, et qu’elle recevrait bientôt de lui un document important.
Tout ce qui se faisait autour d’elle et avec elle, l’attention dont elle était l’objet de la part de ces gens, dont la parole était si élégante et si fine, l’innocence de la colombe devenue son partage, figurée sur sa personne par des robes et des rubans d’une blancheur immaculée, tout lui causait une amusante distraction. Néanmoins elle ne perdait pas son but de vue et, comme il arrive toujours dans une affaire où il y a de la ruse sous jeu, c’était le plus faible comme intelligence qui devait vaincre le plus fort.
Hélène comprit fort bien que toutes ces belles phrases et tous ces efforts n’avaient d’autre objet que de la convertir au catholicisme et d’obtenir d’elle de l’argent pour les besoins de l’ordre. Aussi elle ne manqua pas d’insister auprès d’eux, avant de se rendre à leurs demandes, pour faire hâter les différentes formalités indispensables en vue de son divorce. Pour elle, la religion n’avait d’autre mission que de satisfaire ses désirs et ses caprices, tout en se conformant à de certaines convenances. Aussi, dans un de ses entretiens avec son confesseur, elle exigea qu’il lui dît catégoriquement à quel point l’engageaient les liens du mariage. C’était le moment du crépuscule : tous deux, près de la fenêtre ouverte du salon, respiraient le doux parfum des fleurs. Un corsage de mousseline des Indes voilait à peine la poitrine et les épaules d’Hélène ; l’abbé, bien nourri et rasé de frais, tenait ses mains blanches modestement croisées sur ses genoux, et, en portant sur elle un regard doucement enivré par sa beauté, lui expliquait sa manière d’envisager la question brûlante qui l’intéressait. Hélène souriait avec inquiétude ; on aurait dit qu’à voir la figure émue de son directeur spirituel elle craignait que la conversation ne prît une tournure alarmante. Mais, tout en subissant le charme de son interlocutrice, l’abbé se laissait évidemment aller au plaisir de développer sa pensée avec art.
« Dans l’ignorance des devoirs auxquels vous vous engagiez, disait-il, vous avez juré fidélité à un homme qui, de son côté, entré dans les liens du mariage, sans en reconnaître l’importance religieuse, a commis une profanation ; donc, ce mariage n’a pas eu son entière valeur, et cependant vous étiez liée par votre serment. Vous l’avez enfreint… Quel est donc votre péché ? Péché véniel ou mortel ? Péché véniel, assurément, parce que vous l’avez commis sans mauvaise intention. Si le but de votre second mariage est d’avoir des enfants, votre péché peut vous être remis ; mais, ici se présente une nouvelle question, et…
– Mais, dit Hélène en l’interrompant tout à coup avec une certaine impatience, je me demande comment, après avoir embrassé la vraie religion, je me trouverais encore liée par les obligations de celle qui est erronée ? »
Cette observation fit sur le confesseur à peu près le même effet que la solution du problème de l’œuf par Christophe Colomb ; il resta ébahi devant la simplicité avec laquelle elle l’avait résolu. Étonné et charmé de ses progrès rapides, il ne voulut pas cependant renoncer tout d’abord à lui déduire ses raisons.
« Entendons-nous, comtesse, » reprit-il en cherchant à combattre le raisonnement de sa fille spirituelle…
VII
Hélène comprenait fort bien que l’affaire en elle-même, ne présentait aucune difficulté au point de vue religieux, et que les objections de ses guides leur étaient dictées uniquement par la crainte des autorités laïques.
Elle décida donc qu’il fallait y préparer peu à peu la société. Elle excita la jalousie de son vieux protecteur et joua avec lui la même comédie qu’avec le prince. Aussi stupéfait d’abord que ce dernier de la proposition d’épouser une femme dont le mari était vivant, il ne tarda pas, grâce à l’imperturbable
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