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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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assurance d’Hélène, à regarder bientôt la chose comme toute naturelle. Hélène n’aurait certes pas gagné sa cause si elle avait montré la moindre hésitation, le moindre scrupule, et gardé le moindre mystère ; mais elle racontait, sans se gêner et avec un laisser-aller plein de bonhomie, à tous ses amis intimes (c’est-à-dire à tout Pétersbourg) qu’elle avait reçu du prince et de l’Excellence une proposition de mariage, qu’elle les aimait également, et qu’elle ne savait comment se résoudre à leur causer du chagrin. Le bruit de son divorce se répandit aussitôt ; bien des gens se seraient élevés contre son projet, mais, comme elle avait pris soin de laisser connaître l’intéressant détail de son incertitude entre ses deux adorateurs, ces gens-là n’y trouvèrent plus rien à redire. Elle avait déplacé la question ; on ne se demandait plus, si la chose était possible, mais bien lequel des deux prétendants lui offrait le plus d’avantages, et comment la cour envisagerait son choix. Il y avait bien par-ci par-là, des gens à préjugés qui, incapables de s’élever à la hauteur voulue, voyaient dans toute cette l’affaire une profanation du sacrement de mariage ; mais ils étaient peu nombreux et ils ne parlaient qu’à mots couverts. Quant à savoir s’il était bien ou mal pour une femme de se remarier du vivant de son mari, on n’en soufflait mot, parce que, disait-on, la question avait été déjà tranchée par des esprits supérieurs, et l’on ne voulait passer ni pour un sot ni pour un homme sans savoir-vivre.
    Marie Dmitrievna Afrassimow fut la seule qui se permît d’exprimer hautement une opinion contraire. Elle était venue cet été-là, à Pétersbourg voir un de ses fils ; rencontrant Hélène à un bal, elle l’arrêta au passage, et, au milieu d’un silence général, lui dit de sa voix forte et dure :
    « Tu veux donc te remarier du vivant de ton mari ? Crois-tu donc avoir inventé quelque chose de neuf ? Pas du tout, ma très chère, tu as été devancée et c’est depuis longtemps l’usage dans… »
    Et, sur ces mots, Marie Dmitrievna, relevant par habitude ses larges manches, la regarda sévèrement et lui tourna le dos. Malgré la crainte qu’inspirait Marie Dmitrievna, on la traitait volontiers de folle : aussi ne resta-t-il de sa mercuriale que l’injure de la fin, qu’on se redisait à l’oreille, cherchant dans ce mot seul tout le sel de son sermon.
    Le prince Basile, qui depuis quelque temps perdait la mémoire et se répétait à tout propos, disait à sa fille, chaque fois qu’il la rencontrait :
    « Hélène, j’ai un mot à vous dire :… J’ai eu vent de certains projets relatifs à… vous savez ? Eh bien, ma chère enfant, vous savez que mon cœur de père se réjouit de vous savoir… vous avez tant souffert… mais, chère enfant, ne consultez que votre cœur. C’est tout ce que je vous dis {13} … » Et, pour cacher son émotion de commande, il la serrait sur sa poitrine.
    Bilibine n’avait pas perdu sa réputation d’homme d’esprit ; c’était un de ces amis désintéressés comme les femmes à la mode en ont souvent, et qui ne changent jamais de rôle ; il lui exposa un jour, en petit comité, sa manière de voir sur cet important sujet.
    « Écoutez, Bilibine, » lui répondit Hélène, qui avait l’habitude d’appeler les amis de cette catégorie par leur nom de famille… et elle lui toucha l’épaule de sa blanche main couverte de bagues chatoyantes : « Dites-moi comme à une sœur ce que je dois faire… Lequel des deux ? » Bilibine plissa son front et se mit à réfléchir.
    « Vous ne me prenez pas par surprise, dit-il. Je ne fais qu’y penser. Si vous épousez le prince, vous perdez pour toujours la chance d’épouser l’autre, et vous mécontentez la cour, car vous savez qu’il existe de ce côté une certaine parenté. Si au contraire vous épousez le vieux comte, vous faites le bonheur de ses derniers jours, et puis, comme veuve d’un aussi grand personnage, le prince ne se mésalliera plus en vous épousant.
    – Voilà un véritable ami ! dit Hélène rayonnante. Mais c’est que j’aime l’un et l’autre ; je ne voudrais pas leur faire de chagrin, je donnerais ma vie pour leur bonheur à tous deux ! »
    Bilibine haussa les épaules ; évidemment à cette douleur-là il ne trouvait pas de remède. « Quelle maîtresse femme ! se dit-il. Voilà ce qui

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