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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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Excellence que cette phrase n’offre aucun sens à un cœur russe. Ce n’est pas ainsi que doit être posée la question pour la discussion de laquelle j’ai réuni ces messieurs ; elle est purement militaire et la voici : Le salut du pays étant dans l’armée, est-il plus avantageux de risquer de la perdre, et Moscou avec, en livrant bataille, ou de se retirer et d’abandonner la ville sans résistance ? C’est là-dessus que je désire connaître votre avis. »
    Les discussions commencèrent ; Bennigsen, qui ne se tenait pas pour battu, admit l’opinion de Barclay, et trouva comme lui qu’il était impossible de défendre la position de Fili ; en conséquence, il proposa de faire passer pendant la nuit les troupes du flanc droit au flanc gauche, afin d’attaquer l’aile droite de l’ennemi. Les opinions se partagèrent, on discuta le pour et le contre. Yermolow, Doctourow, Raïevsky soutinrent Bennigsen ; pensaient-ils qu’un sacrifice était nécessaire avant d’abandonner Moscou, ou bien avaient-ils en vue d’autres considérations personnelles ? ils ne semblaient pas comprendre que leur réunion ne pouvait plus arrêter la marche fatale des événements. Par le fait, Moscou était abandonné. Les autres généraux le voyaient clairement, et ne discutaient plus que sur la direction à faire prendre à l’armée dans sa retraite. Malacha, qui regardait de tous ses yeux, expliquait autrement ce qui se passait. Elle croyait qu’il s’agissait d’une querelle entre « le grand-père » et « l’habit aux longs pans », comme elle désignait à part elle Bennigsen. Elle voyait qu’ils s’irritaient l’un contre l’autre, et dans le fond de son petit cœur elle donnait raison au « grand-père » ; elle saisit au vol un coup d’œil perçant et rusé jeté par ce dernier sur Bennigsen, et fut toute ravie de lui voir remettre à sa place son adversaire, qui rougit et fit quelques pas dans la chambre ; les paroles que Koutouzow avait prononcées d’une voix calme et mesurée à l’adresse de Bennigsen exprimaient une désapprobation complète.
    « Je ne saurais, messieurs, accepter le plan du comte, dit Koutouzow. Faire changer de position à une armée dans le voisinage immédiat de l’ennemi est toujours une opération dangereuse ; l’histoire est là pour le confirmer. Ainsi, par exemple… » il s’arrêta comme pour rassembler ses souvenirs ; reportant ensuite un regard clair et d’une candeur affectée sur Bennigsen… « par exemple, si la bataille de Friedland, que vous devez vous rappeler, comte, n’a pas été à notre avantage, c’est précisément à cause d’une conversion semblable. »
    Un silence d’une minute qui parut éternelle, pesa sur l’assistance.
    Les discussions reprirent ensuite à bâtons rompus, mais on sentait que le sujet était épuisé.
    Tout à coup Koutouzow soupira. Comprenant qu’il allait parler, tous les généraux se tournèrent vers lui.
    « Eh bien, messieurs, je vois que c’est moi qui payerai les pots cassés. J’ai écouté les opinions de chacun. Je sais que quelques-uns ne seront pas de mon avis, mais… ajouta-t-il en se levant… en vertu du pouvoir qui m’a été confié par l’Empereur et la patrie, je commande la retraite ! »
    Les généraux se dispersèrent dans un silence solennel, comme celui qui accompagne d’ordinaire les prières des morts. Malacha, qu’on attendait depuis longtemps à souper, descendit lentement et à reculons de la soupente, en se cramponnant de ses petits pieds nus aux saillies du poêle, et, se faufilant prestement entre les jambes des généraux, elle disparut par la porte entre-bâillée.
    Koutouzow, après avoir congédié les membres du conseil, resta longtemps appuyé sur la table à réfléchir à ce terrible problème, se demandant de nouveau où et comment s’était décidé l’abandon de Moscou, et à qui il pouvait être imputé.
    « Je ne m’y attendais pas, dit-il à son aide de camp Schneider, qui venait d’entrer chez lui à une heure avancée de la nuit. Je n’aurais jamais cru pareille chose possible !
    – Il faut vous reposer, Altesse, lui répondit l’aide de camp.
    – Eh bien, on verra ! Je leur ferai manger comme aux Turcs de la viande de cheval, » dit Koutouzow en frappant la table de son poing, et il répéta : « Ils en mangeront ! Ils en mangeront ! »

V
    Comme contraste à Koutouzow et à propos d’un fait d’une bien autre

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