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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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Le laquais s’élança sur le siège de la voiture lorsqu’elle était déjà en marche, et les autres équipages, secoués comme elle en passant de la cour dans la rue, se mirent en mouvement à sa suite. Tous les voyageurs se signèrent en passant devant l’église d’en face, et les domestiques qui restaient à la maison les reconduisirent pendant quelques pas, en marchant des deux côtés des portières. Natacha avait rarement éprouvé un sentiment de joie aussi vif qu’en ce moment, où, assise à côté de sa mère, elle voyait lentement défiler devant ses yeux les maisons et les murailles de Moscou qu’on abandonnait à son sort. Passant de temps en temps la tête hors de la portière, elle regardait le long convoi de blessés qui les précédait, avec la calèche du prince André en tête. Elle ignorait ce que recouvrait cette capote baissée, mais, comme c’était la première de la longue file, elle la suivait toujours des yeux.
    Chemin faisant, des convois du même genre débouchèrent en si grand nombre des rues aboutissantes, que, dans la grande Sadovaïa, les voitures marchaient sur deux rangs. Devant la tour de Soukharew, Natacha, qui s’amusait à examiner les allants et les venants, s’écria tout à coup avec une joyeuse surprise :
    « Maman, Sonia, voyez donc, c’est lui !
    – Qui donc ? Qui cela ?
    – Mais c’est Besoukhow !… » Et elle se pencha à la portière pour chercher à reconnaître un homme de forte stature, vêtu d’un caftan de cocher ; rien qu’à le voir, on devinait que ce devait être un déguisement : il était suivi d’un petit vieillard à figure jaune et imberbe, enveloppé dans un manteau à collet de frise.
    « C’est bien certainement Besoukhow, poursuivit Natacha.
    – Quelle idée ! Tu te trompes !
    – Je vous donne ma tête à couper que c’est lui… Halte, halte ! » cria-t-elle au cocher.
    Celui-ci ne put s’arrêter : les conducteurs des charrettes et des voitures qui venaient en sens contraire lui enjoignirent, en criant, de continuer sa route et de ne pas entraver la circulation. Cela n’empêcha pas les Rostow de distinguer quoique à distance, la grande taille de Pierre : si ce n’était pas lui, c’était du moins quelqu’un qui lui ressemblait singulièrement. Le personnage en question marchait le long du trottoir, la tête inclinée, le visage sérieux, en compagnie du vieillard imberbe, qui avait tout l’air d’un domestique. Ce dernier, remarquant les figures qui les examinaient ainsi, toucha légèrement et avec respect le coude de son maître en lui désignant la voiture. Pierre, absorbé dans ses rêveries ; fut quelque temps avant de comprendre ce qu’on lui voulait ; enfin, levant la tête, et regardant du côté que lui indiquait son vieux compagnon, il aperçut Natacha, et, sous l’impulsion irréfléchie du premier mouvement, il courut vers la voiture, mais au bout de dix pas il s’arrêta subitement. Natacha, toujours penchée en avant, lui souriait affectueusement.
    « Pierre Kirilovitch, venez donc, lui cria-t-elle. Vous me reconnaissez ?… C’est vraiment étonnant !… Que faites-vous là sous ce déguisement ? » ajouta-t-elle en lui tendant la main.
    Pierre lui prit la main tout en marchant, car la voiture ne s’était pas arrêtée, et la baisa gauchement.
    « Que vous arrive-t-il donc ? lui demanda la comtesse avec intérêt.
    – À moi, rien… pourquoi ?… Ne m’interrogez pas, répondit-il, sentant que le regard joyeux de Natacha le pénétrait de son charme.
    – Restez-vous à Moscou, ou le quittez-vous ? »
    Pierre se tut un moment :
    « À Moscou ? reprit-il, oui c’est bien cela, à Moscou !… Adieu !
    – Comme je regrette de ne pas être homme, je serais restée avec vous, dit Natacha, car ce que vous faites est bien… Maman, si vous permettez, je resterai !
    – Vous avez été là-bas pendant la bataille, dit la comtesse en interrompant sa fille.
    – Oui, j’y étais, dit Pierre, et demain il y en aura encore une.
    – Mais qu’avez-vous ? reprit Natacha : vous n’êtes pas comme habitude.
    – Ah ! ne me questionnez pas, je ne sais rien, mais demain… Plus un mot, adieu, adieu ! répéta-t-il. Dans quels temps épouvantables… » Et, laissant passer la voiture, il regagna le trottoir, tandis que Natacha le suivit longtemps encore de son sourire amical et un peu moqueur.

XVIII
    Pierre, depuis sa disparition, demeurait dans l’appartement vide

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