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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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cette ridicule situation.
    Il passa toute la nuit à donner des ordres qu’on venait lui demander de tous les quartiers. Ses intimes ne l’avaient jamais vu aussi sombre, ni aussi intraitable.
    « Excellence, on est venu des Apanages, du Consistoire, de l’Université, du Sénat, de la maison des Enfants-Trouvés !… Les pompiers, le directeur de la prison, celui de la maison des fous, demandent ce qu’ils ont à faire ! » Et toute la nuit se passa ainsi.
    Le comte faisait des réponses brèves et sévères, uniquement destinées à donner à entendre qu’il ne prenait pas sur lui la responsabilité des instructions données, et la rejetait sur ceux qui avaient réduit tout son travail à néant.
    « Dis à cet imbécile de veiller à ses archives, et à cet autre de ne pas m’adresser de sottes questions à propos de ses pompiers… Puisqu’il y a des chevaux, qu’ils partent pour Vladimir. A-t-il envie de les laisser aux Français ?
    – Excellence, l’inspecteur de la maison des fous est arrivé que doit-il faire ?
    – Qu’ils partent, qu’ils partent tous, et qu’il lâche les fous dans la ville ! Puisque nous avons des fous qui commandent les armées, il est juste que ceux-là soient aussi rendus à la liberté. »
    Lorsqu’on lui demanda ce qu’il fallait faire des prisonniers, le comte s’écria avec colère, en s’adressant au surveillant :
    « Faut-il donc te donner deux bataillons pour les escorter ? Il n’y en a pas ! Eh bien, qu’on les lâche !
    – Mais, Excellence, il y a aussi des prisonniers politiques, Metchkow et Vérestchaguine.
    – Vérestchaguine ? On ne l’a donc pas pendu ? Qu’on l’amène ! »

XXV
    Vers neuf heures du matin, lorsque les troupes commencèrent à traverser la ville, personne ne vint plus fatiguer le comte de demandes inopportunes : ceux qui partaient, comme ceux qui restaient, n’avaient plus désormais besoin de lui. Il avait commandé sa voiture pour aller à Sokolniki, et, en attendant qu’elle fût prête, il s’étendit, les bras croisés et la figure renfrognée.
    En ce temps de paix, lorsque le moindre administrateur s’imagine complaisamment que si ses administrés vivent, c’est uniquement grâce à ses soins, c’est dans la conscience de son incontestable utilité qu’il trouve la récompense de ses peines. Tant que dure le calme, le pilote qui, de son frêle esquif, indique au lourd vaisseau de l’État la route qu’il doit suivre croit, en le voyant s’avancer, et cela se comprend, que ce sont ses efforts personnels qui poussent l’immense bâtiment. Mais qu’une tempête s’élève, que les vagues entraînent le vaisseau, l’illusion n’est plus possible, le bâtiment suit seul sa marche majestueuse, et le pilote, qui tout à l’heure encore était le représentant de la toute-puissance, devient un être faible et inutile. Rostoptchine le sentait, et il en était profondément froissé.
    Le grand-maître de police, celui-là même que la foule avait arrêté, entra chez le comte avec l’aide de camp qui venait lui annoncer que la voiture était prête. L’un et l’autre étaient pâles, et le premier, après avoir rendu compte au général gouverneur de sa commission, ajouta que la cour de l’hôtel se remplissait d’une masse énorme de gens qui demandaient à lui parler. Sans proférer une parole, le comte se leva, se dirigea vivement vers son salon, et posa la main sur le bouton de la porte vitrée du balcon, mais, la retirant aussitôt, il alla à une autre fenêtre, d’où l’on voyait ce qui se passait au dehors. Le jeune gars continuait à discourir en gesticulant. Le maréchal ferrant, couvert de sang, se tenait, sombre, à ses côtés, et le murmure de leurs voix pénétrait à travers les croisées.
    « La voiture est-elle prête ? demanda Rostoptchine.
    – Elle est prête, Excellence, répondit l’aide de camp.
    – Que veulent-ils donc, ceux-là ? demanda Rostoptchine en se rapprochant du balcon.
    – Ils se sont réunis, à ce qu’ils assurent, pour marcher sur les Français, d’après votre ordre, Excellence… Ils parlent aussi de trahison : ce sont des tapageurs, j’ai eu de la peine à leur échapper ! Veuillez me permettre de vous proposer, Excellence…
    – Faites-moi le plaisir de vous retirer, je sais ce que j’ai à faire… » et il continuait à regarder au dehors : « Voilà où l’on a amené la Russie, voilà ce que l’on a fait de moi ! » se

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