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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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détestée ?… Et il revit Natacha, non plus avec le cortège de ses charmes extérieurs : c’était dans son âme qu’il pénétrait, c’était son âme dont il comprenait enfin les souffrances, la honte et le repentir ; c’était sa cruauté, à lui, qu’il se reprochait, pour avoir rompu avec elle… « Si je pouvais au moins la voir, si je pouvais voir encore une fois ses yeux et lui exprimer… Oh la mouche qui me frappe ! » Et son imagination se transporta de nouveau dans ce monde d’hallucinations et de réalités où il entrevoyait, comme dans un nuage, l’édifice qui s’élevait toujours au-dessus de sa figure, la chandelle qui brûlait entourée de son cercle rouge, et le sphinx qui se tenait près de la porte.
    À ce moment il entendit un léger bruit, il aspira un courant d’air frais, et une autre forme blanche, un second sphinx, apparut sur le seuil de l’isba : son visage était pâle et ses yeux brillaient comme ceux de Natacha. « Oh ! que ce délire me fatigue ! » se disait le prince André en essayant de chasser loin de lui cette vision. Cependant la vision était toujours là, elle s’avançait, elle semblait réelle ! Le prince André fit un effort surhumain pour se rendre un compte exact de ce qu’il voyait, mais le délire était toujours le plus fort. Le susurrement de la voix continuait en cadence ; il sentait peser quelque chose sur sa poitrine, et l’étrange figure le regardait toujours. Réunissant toutes ses forces pour reprendre ses sens, il fit un mouvement, ses oreilles tintèrent, sa vue se troubla, et il perdit connaissance. Lorsqu’il revint à lui, Natacha, Natacha vivante, celle qu’entre tous les êtres il désirait aimer de cet amour pur et divin qui venait de lui être révélé, était là, à genoux, devant lui. Il la reconnut si bien, qu’il n’en éprouva aucune surprise, mais un sentiment ineffable de bien-être. Natacha, terrifiée, n’osait bouger ; elle cherchait à étouffer ses sanglots, un léger tremblement agitait son pâle visage.
    Le prince André poussa un soupir d’allégement, sourit et lui tendit la main.
    « Vous ? dit-il… Quel bonheur ! »
    Natacha se rapprocha vivement de lui, et, lui prenant délicatement la main, la baisa en l’effleurant à peine de ses lèvres.
    « Pardonnez-moi, murmura-t-elle en levant la tête. Pardonnez-moi !
    – Je vous aime, dit-il.
    – Pardonnez-moi !
    – Que dois-je vous pardonner ?
    – Pardonnez-moi ce que j’ai fait, lui dit Natacha tout bas avec un pénible effort.
    – Je t’aime mieux qu’auparavant, » répondit le prince André en lui prenant la tête pour regarder ses yeux, qui se fixaient timidement sur lui à travers des larmes de joie et rayonnaient d’amour et de compassion.
    Les traits pâles et amaigris de Natacha, ses lèvres gonflées par l’émotion, lui ôtaient en ce moment toute beauté, mais le prince André ne voyait que ses beaux yeux humides et brillants.
    Pierre, le valet de chambre, qui venait de se réveiller, secoua le docteur. Timokhine, qui ne dormait pas, avait vu tout ce qui s’était passé, et cherchait à se dissimuler de son mieux dans ses draps.
    « Qu’est-ce que cela signifie ? dit le docteur en se soulevant à moitié. Veuillez vous retirer, mademoiselle. »
    Au même instant la femme de chambre, envoyée par la comtesse pour chercher sa fille, frappa à la porte. Comme une somnambule qui serait réveillée en sursaut, Natacha sortit et rentrée chez elle, tomba en sanglotant sur son lit.
     
    À dater de ce jour, à chaque halte, à chaque étape de leur long voyage, Natacha se rendait auprès de Bolkonsky, et le docteur était forcé d’avouer qu’il ne s’attendait pas à rencontrer chez une jeune fille autant de fermeté et d’intelligence dans les soins à donner à un blessé. Quelque terrible que fût pour la comtesse la pensée de voir mourir le prince André entre les mains de sa fille, selon les prévisions trop fondées du médecin, elle n’eut pas le courage de résister à sa volonté. Ce rapprochement aurait certainement, dans d’autres circonstances, rétabli leurs premières relations, mais la question de vie et de mort suspendue sur la tête du prince André l’était également au-dessus de la Russie et écartait toute autre préoccupation.

XXXIII
    Le 3 septembre, Pierre se leva tard : il avait mal à la tête ; ses habits, qu’il n’avait pas quittés, lui pesaient sur le corps, et il sentait

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