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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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me mordit les lèvres. Sans un cri, je
léchai le sang salé tout en regardant le mur de brique humide par-dessus son
épaule, tandis qu’il se plaquait contre moi. Une goutte de pluie me tomba dans
l’oeil.
    Je ne le laissai pas libre
d’agir à sa guise. Au bout d’un moment, il recula et approcha sa main de ma
tête. Je m’éloignai.
    « Vous aimez bien ces
coiffes, n’est-ce pas ? dit-il.
    — Je ne suis pas assez
riche pour me faire coiffer et sortir sans coiffe, rétorquai-je. Et je ne suis
pas non plus une… » Je n’achevai pas, point n’était besoin de lui rappeler
quel autre genre de femmes sortait tête nue.
    « Mais vos coiffes
couvrent toute votre chevelure, pourquoi ça ? La plupart des femmes la
laissent entrevoir. »
    Je ne répondis rien.
    « De quelle couleur sont
vos cheveux ?
    — Châtain.
    — Châtain clair ou châtain
foncé.
    — Châtain foncé. »
    Pieter sourit comme s’il
s’amusait avec une enfant. « Raides ou frisés ?
    — Ni l’un ni l’autre. Les
deux. » Je me raidis, gênée.
    « Longs ou
courts ? »
    J’hésitai. « Au-dessous de
mes épaules. »
    Il continua à me sourire,
m’embrassa une fois de plus et se tourna en direction de la place du Marché.
    J’avais hésité parce que je ne
voulais ni lui mentir ni lui dire la vérité : j’avais les cheveux longs et
indociles. Sans ma coiffe, on aurait cru qu’ils appartenaient à une autre
Griet. À une Griet qui se retrouverait seule dans une ruelle en compagnie d’un
homme qui ne serait ni aussi calme, ni aussi paisible, ni aussi propre. Une
Griet semblable à ces femmes qui osaient aller tête nue. C’est pour qu’il n’y ait
aucune trace de cette Griet-là que je cachais mes cheveux.
     
    *
     
    Il acheva le tableau de la
fille du boulanger. Cette fois je pus le prévoir car il cessa de me demander de
broyer et rincer les couleurs. Désormais, il ne se servait presque plus de
peinture et, à la fin, il ne procéda pas à des changements inattendus comme
pour la jeune femme au collier de perles. Il avait effectué ces changements
plus tôt, retirant une des chaises du tableau, déplaçant la carte sur le mur.
Ces changements me surprirent d’autant moins que j’avais eu l’occasion d’y
réfléchir et savais que de telles décisions de sa part amélioreraient le
tableau. Il emprunta à nouveau la chambre noire de Van Leeuwenhoek afin
d’examiner une dernière fois la composition. La chambre noire assemblée, il me
permit de regarder. J’avais beau ne pas encore en comprendre le principe,
j’admirais ces scènes qu’elle reflétait, ces images miniatures, inversées, des
objets de la pièce. Les couleurs devenaient plus intenses, le tapis de table
d’un rouge plus profond, la carte sur le mur devenait d’un brun brillant comme
un verre de bière au soleil. Je ne comprenais pas au juste de quelle façon la
chambre noire l’aidait à peindre, mais je commençais à partager l’opinion de
Maria Thins, si elle pouvait l’aider à mieux peindre, je ne mettais pas en
question son utilité. Toutefois, il ne peignait pas plus vite. Il passa cinq
mois à peindre la jeune femme à l’aiguière. J’angoissais souvent à l’idée que
Maria Thins pût me rappeler que je n’avais pas contribué à le faire peindre
plus vite et, du même coup, me prier de préparer mon balluchon et de partir.
    Il n’en fut rien. Elle savait
combien il avait été occupé à la Guilde et à Mechelen, cet hiver-là, aussi
avait-elle sans doute décidé de voir si, l’été venu, les choses changeraient. À
moins qu’elle ne trouvât difficile de le réprimander, elle qui aimait tant ce
tableau.
    « Quelle tristesse qu’un
aussi beau tableau ne soit destiné qu’au boulanger ! s’écria-t-elle un
jour. Nous aurions pu en demander bien davantage s’il avait été pour Van
Ruijven. » Il était clair que si c’était lui qui peignait, c’était elle
qui négociait les affaires.
    Le boulanger trouva lui aussi
le tableau à son goût. Le jour où il vint le voir, l’atmosphère fut bien
différente de celle de la visite compassée de Van Ruijven et son épouse venus,
quelques mois plus tôt, regarder leur tableau. Le boulanger arriva en famille,
avec plusieurs de ses enfants et une ou deux de ses soeurs. C’était un homme
jovial, au visage à jamais rubicond à cause de la chaleur de ses fours. Ses
cheveux semblaient saupoudrés de farine. Il refusa le vin que lui offrit Maria
Thins,

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