La jeune fille à la perle
préférant une chope de bière. Il aimait les enfants, aussi insista-t-il
pour que les quatre filles et Johannes aient la permission de pénétrer dans l’atelier.
De leur côté, les enfants l’aimaient bien également ; à chacune de ses
visites, il leur apportait un coquillage pour agrandir leur collection. Cette
fois, il s’agissait d’une conque de la taille de ma paume, rugueuse, hérissée
de piquants, à l’extérieur blanc strié de jaune pâle et à l’intérieur rose
nacré d’orange. Les filles en furent ravies, elles coururent chercher leurs
autres coquillages, s’amusant dans le débarras avec les enfants du boulanger
tandis que Tanneke et moi servions les invités dans l’atelier. Le boulanger se
déclara satisfait du tableau. « Ma fille a bonne allure, c’en est assez
pour moi », conclut-il.
Après cela, Maria Thins se
lamenta qu’il ne l’avait pas examiné d’aussi près que Van Ruijven, que ses sens
étaient émoussés par la bière et le désordre dont il s’entourait. Je n’étais
pas d’accord, mais n’en dis mot. Il me sembla que le boulanger avait eu une
réaction honnête devant le tableau. Van Ruijven, lui, en faisait trop lorsqu’il
regardait un tableau, y allant à coups de paroles mielleuses et de mines
étudiées. Il était par trop conscient de se produire devant un public, alors
que le boulanger, lui, se contentait de dire ce qu’il pensait.
J’allai jeter un coup d’oeil
sur les enfants qui jouaient dans le débarras. Vautrés par terre, ils étaient
occupés à trier des coquillages, mettant du sable partout. Les bahuts, les
livres, les assiettes et les coussins ne les intéressaient pas.
Cornelia descendit l’échelle du
grenier. Elle sauta les trois derniers échelons et poussa un hurlement
triomphant en s’étalant par terre. Elle me lança un bref regard, véritable
défi. L’un des fils du boulanger, de l’âge d’Aleydis, grimpa quelques échelons
et sauta par terre, suivi d’Aleydis et de deux autres enfants.
Je n’avais jamais compris
comment Cornelia avait réussi à se rendre au grenier pour y voler la garance
qui avait taché de rouge mon tablier. Sournoise par nature, elle s’échappait
sitôt qu’on avait le dos tourné. Je n’avais mentionné son chapardage ni à Maria
Thins ni à lui, n’étant pas sûre qu’ils me croiraient. En revanche je veillais
désormais à garder les couleurs sous clef sitôt que mon maître ou moi étions
absents.
Je ne lui dis rien en la voyant
ainsi vautrée par terre à côté de Maertge, me contentant, ce soir-là, de
vérifier que mes affaires étaient bien là. Tout y était, mon carreau en faïence
brisé, mon peigne en écaille, mon livre de prières, mes mouchoirs brodés, mes
cols, mes chemisiers, mes tabliers et mes coiffes. Je les comptai et les
repliai.
Je passai ensuite les couleurs
en revue, pour être sûre. Elles étaient, elles aussi, bien rangées, personne ne
semblait avoir touché au bahut.
Sans doute se comportait-elle
simplement comme une enfant, grimpant à l’échelle pour en sauter, cherchant à
jouer plutôt qu’à inventer quelque mauvais tour.
*
Le boulanger prit possession de
son tableau en mai, mais mon maître ne commença pas le tableau suivant avant le
mois de juillet. Un tel délai m’inquiétait, car je m’attendais à ce que Maria
Thins me le reproche, même si nous savions l’une et l’autre que je n’y étais
pour rien. Et voici qu’un jour j’entendis cette dernière confier à Catharina
qu’un ami de Van Ruijven, voyant le tableau représentant l’épouse de ce dernier
parée de son collier de perles, avait estimé que mieux vaudrait qu’elle regarde
vers nous plutôt que dans un miroir. Van Ruijven avait donc décidé qu’il
voulait un tableau montrant le visage de son épouse tourné vers le peintre.
« Il ne peint pas souvent ses modèles dans cette pose », avait-elle
remarqué.
Je n’avais pu entendre la
réponse de Catharina. Je cessai un instant de balayer la chambre des filles.
« Rappelle-toi la dernière
fois, avait insisté Maria Thins, soucieuse de lui rafraîchir la mémoire. Oui,
la servante ! Souviens-toi de Van Ruijven et de la servante à la robe
rouge ! »
Catharina avait réprimé un
éclat de rire.
« C’est la dernière fois
dans un de ses tableaux que le modèle vous regarde, poursuivit Maria Thins, et
quel scandale ! J’étais sûre et certaine qu’il refuserait la suggestion de
Van Ruijven, mais
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