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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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trop
de travail. Mon maître m’avait donné tellement d’os à broyer que j’avais dû me
lever de très bonne heure pour terminer. La veille, Tanneke m’avait forcée à
rester debout jusqu’à une heure tardive pour relaver le sol de la cuisine sur
lequel elle avait renversé une casserole d’huile.
    Je ne voulais pas désavouer mon
maître. « Tanneke m’a prise en grippe, préférai-je répondre, du coup, elle
me donne davantage de travail. Et puis, dites-vous que le temps commence à se
réchauffer et que nous rangeons les affaires d’hiver. » J’ajoutai cela de
sorte qu’il n’aille pas croire que je me plaignais d’elle.
    « Tanneke est un drôle
d’oiseau, reprit-il, mais elle est fidèle.
    — À Maria Thins, c’est
sûr.
    — Et tout autant à la
famille. Vous rappelez-vous la façon dont elle a défendu Catharina contre son
frère qui est fou ? »
    Je fis non de la tête.
    Pieter parut étonné. « Au
marché à la viande, ç’a été le grand sujet de conversation pendant des jours.
Ah ! c’est vrai, vous, vous ne bavardez pas, n’est-ce pas ? Vous vous
contentez juste de garder les yeux grands ouverts, mais vous ne racontez pas de
fariboles et vous n’en écoutez pas non plus. » Cela semblait lui plaire.
« Moi, j’en entends toute la journée des vieilles bonnes femmes qui font
la queue pour acheter leur viande. Qu’on le veuille ou non, y en a qui vous
marquent.
    — Qu’a fait
Tanneke ? » ne pus-je m’empêcher de demander.
    Pieter sourit. « Quand
votre maîtresse attendait non pas l’avant-dernier… Comment
s’appelle-t-il ?
    — Johannes, comme son
père. »
    Le sourire de Pieter se voila
comme lorsqu’un nuage passe devant le soleil. « Oui, comme son
père. » Il poursuivit : « Un jour, Willem, le frère de
Catharina, alla faire un tour du côté de l’Oude Langendijck alors qu’elle était
enceinte et il se mit à la battre, comme ça, en pleine rue.
    — Pourquoi ?
    — Parce qu’il lui manque
une case ou deux, à ce qu’on dit. Il a toujours été violent. Son père aussi.
Vous savez, son père et Maria Thins vivent séparés depuis des années. Il la
battait.
    — Il battait Maria
Thins ? » répétai-je, étonnée. Je n’aurais jamais pensé que quiconque
pût battre Maria Thins.
    « Aussi quand Willem
commença à battre Catharina, il semblerait que Tanneke se soit interposée pour
la protéger, se jetant sur lui à bras raccourcis. »
    Où était mon maître lors de cet
incident ? Je réfléchis. Il n’aurait pu être resté au calme dans son
atelier. Non, c’était impossible. Il devait être à la Guilde, ou en compagnie
de Van Leeuwenhoek, ou encore à Mechelen, l’auberge de sa mère.
    « Maria Thins et Catharina
se sont débrouillées pour faire enfermer Willem l’an dernier, poursuivit
Pieter. Il ne peut pas sortir de l’asile. C’est pourquoi vous ne l’avez pas vu.
Honnêtement, vous n’aviez jamais entendu cette histoire ? Ils ne parlent
donc pas, chez vous ?
    — Pas à moi. » Je
pensais à tous ces conciliabules que Catharina et sa mère tenaient dans la
salle de la Crucifixion, se taisant sitôt que j’entrais. « Et je n’ai pas
non plus l’habitude d’écouter aux portes.
    — Bien sûr que non. »
Pieter avait retrouvé son sourire, à croire que je venais de dire une
plaisanterie. Comme tout le monde, il s’imaginait que les servantes avaient les
oreilles collées aux portes. On appliquait souvent à mon cas certaines idées
reçues concernant les servantes.
    Je demeurai silencieuse le
reste de la journée. Je n’aurais jamais cru que Tanneke pût être aussi fidèle
et aussi brave, en dépit de tout ce qu’elle pouvait raconter dans le dos de
Catharina. Je n’aurais jamais cru non plus que Catharina ait pu être ainsi
battue, ni que Maria Thins pût avoir un fils pareil. J’essayai, mais en vain,
d’imaginer mon propre frère me battant en pleine rue.
    Percevant l’état de confusion
dans lequel je me trouvais, Pieter n’en dit pas davantage. En me quittant
devant la boutique de l’apothicaire, il se contenta de toucher mon épaule avant
de poursuivre son chemin. Je restai un moment à contempler l’eau vert sombre du
canal, puis je secouai la tête pour y faire le vide et me dirigeai vers la
porte de l’apothicaire.
    Je cherchais à dissiper l’image
du couteau tournoyant sur le sol dans la cuisine de ma mère.
     
    *
     
    Un dimanche, Pieter fils vint
assister au service

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